La grimeuse | Soline de Laveleye

Ciel bleu sur ville anéantie. Voilà le tableau. Pour l’intituler, j’hésiterais entre Désolation limpide ou Sublime désolation, si toute cette histoire ne frisait pas l’absurde. [p. 9]
DANS LA GRIMEUSE, Soline de Laveleye crée un univers merveilleux et énigmatique, tant pour ses personnages que pour le lecteur. Celui-ci y est d’emblée plongé avec les Préliminaires : une ville dévastée, nouvellement en ruine et désertée, à l’exception d’un habitant et de centaines de moucherons. Peu à peu, les souvenirs reviennent au narrateur, qui tisse alors la trame de la ville, avant sa destruction. Il s’agissait d’un havre de paix au milieu de la guerre, néanmoins sous le contrôle de l’Ennemi. Aucun habitant n’avait le droit d’en sortir, à moins de recourir aux services de la passeuse, la Grimeuse, et tous recevaient un rôle à tenir, dans cette vie rythmée par les rituels.

L’univers proposé m’a paru original et bien construit, plutôt cohérent. La vie comme théâtre, en particulier, traverse toute l’œuvre, structure la ville racontée. Tout apparaît sous le prisme du jeu et de l’apparence : chacun endosse son rôle, sans que l’on ne sache s’il est sincère ou non, s’il croit à la mascarade que semble être cette ville artificielle. Cela se répercute bien sûr sur l’écriture, très visuelle ; il est aisé d’imaginer les scènes évoquées comme autant d’images poétiques. L’écriture de Soline de Laveleye est très agréable, à mi-chemin du conte et du roman.

Le théâtre est aussi décliné en histoires racontées. Farce, conte ? Le narrateur lui-même hésite sur la dénomination de son récit et est conscient de la déformation que subit la réalité une fois narrée, irrémédiablement ; comment raconter des faits, comment assurer de la vérité ? Ces interrogations sur la fiction m’intéressent toujours beaucoup et mettent en évidence ce fil rouge théâtral du roman, cette mise en abyme permanente.

Quant à moi, ma discrétion fait merveille. Comme toujours, je passe complètement inaperçu : l’observateur idéal. Le degré zéro du protagoniste. Ce n’est pas forcément un choix, mais je finis par me prendre au rôle. [p. 19]
Une autre originalité est le point de vue adopté : le narrateur est un chat. Cela apporte un regard différent lors de la première scène de la ville, celle du carnaval, non pas un regard naïf ou interrogatif, mais décalé. Peut-être par habitude au fil de la lecture ou parce qu’il était difficile de tenir le procédé longuement, il m’a semblé moins exploité par la suite, malheureusement. L’avantage d’un tel personnage félin se limite alors à sa discrétion et au fait qu’il peut s’introduire aisément un peu partout.

Mon bémol n’est pourtant pas celui-là et concerne plutôt la fin. L’épilogue est suivi d’une quarantaine de pages de « suite », d’histoires racontées dans un théâtre de marionnettes. On y retrouve le chat, ainsi que des personnages ayant fait appel à la Grimeuse. Cela peut être intéressant de voir ce qu’ils sont devenus, mais m’a paru de trop, trop long et tout à fait dispensable ; un peu comme si l’auteur n’avait pas réussi à quitter ses personnages au terme de son roman ou à se dépêtrer plus brièvement de son point de départ avec son épilogue.

Un conte cruel et original.

La grimeuse - MEO

La grimeuse de Soline de Laveleye

MEO (Bruxelles), 2013 – 1re publication

* Le mois belge d’Anne et Mina *

10 commentaires:

  1. Pas tentée mais très belle couverture.

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    1. Illustration de Gaëlle de Laveleye pour la couverture (qui n'avait pas été étrangère à mon achat).

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  2. J'aurais dit la même chose que Florence...

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  3. Oui, comme Florence...
    Je trouve très belle la couverture, elle me fait gamberger.

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  4. 9a a l"air bien complexe non?

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    1. C'est que j'ai mal expliqué cet univers alors. Le texte ne présente pas vraiment de difficulté à la lecture, tout est très bien expliqué et mis en place, je n'ai pas ressenti de complexité particulière personnellement.

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  5. J'aurais bien envie de le lire pour me faire ma propre opinion. Le sujet est original, tout comme le narrateur. Qui sait, cela deviendra peut-être une pièce un jour.

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    1. Je peux te le prêter si l'occasion se présente. Je ne sais pas si ça rendrait aussi bien au théâtre, le point du vue du chat narrateur apporte tout de même quelque chose, qu'on perdrait avec une vision directe.

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  6. Nadège17/4/16

    Si tu veux bien me le prêter également, je suis preneuse. J'avais déjà repéré ce titre et cette couverture que je trouve magnifiques. Cela dit, ça ne presse pas : j'ai de quoi lire !

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    1. Je me rappelais donc bien qu'on en avait parlé, mais je ne savais plus si tu l'avais lu. Il est mis de côté.

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