Déluge | Henry Bauchau

Je connais Henry Bauchau "de loin", par d'autres lectrices : une étudiante ayant travaillé sur Le boulevard périphérique, m'en ayant donné quelques clés au passage, une autre amie l'ayant approché par son œuvre inspirée par la mythologie. Je lirai certainement cet auteur "un jour", convaincue à la longue par ces admirations. En attendant, c'est Marilyne, grande lectrice de Bauchau, qui signe ce très bel article sur son Déluge.

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C'est dans un petit port du Sud de la France, où elle s'est installée pour raisons de santé, que Florence fait la connaissance de Florian. Peintre vieillissant, instable, réputé fou et pyromane, il n'aime rien tant que brûler et voir se consumer ses propres dessins. Encouragée par la psychiatre qui le "suit" de loin, Florence accepte de se mettre à son service. Et bientôt se forme autour d'eux, et de l'atelier aménagé pour l'artiste, un petit cercle d'amitié... Peindre le Déluge – et peut-être le livrer aux flammes –, tel est le grand œuvre que projette désormais Florian. De jour en jour, de mois en mois, il entraîne ses compagnons dans la folle entreprise de ce tableau démesuré qui les requiert corps et âme, qui les épuise et pourtant les transcende. Car cette œuvre est, comme notre monde, traversée par la violence des siècles, par le désastre et la splendeur d'une humanité toujours renaissante.
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LE LECTEUR EST LITTÉRALEMENT EMPORTÉ par cette lecture du Déluge. Comme pris par une marée montante, il s’y immerge puis s’y engloutit, entraîné par ses courants, les vagues de plus en plus violentes, par ses courants qui l’attirent vers les profondeurs sans le noyer, sans l’asphyxier, jusqu’à retourner à terre, impressionné par l’odyssée.

Grâce à vous j’ai trouvé mon territoire, celui que j’ai si longtemps cherché sans le savoir. Est-ce que tu me comprends, Florence ?
Je laisse s’écouler un instant de silence, et je réponds :
- Il n’y a rien à comprendre. Vous nous avez embarqués sans nous prévenir dans l’arche et le déluge. Nous devons y rester jusqu’au bout.

Déluge est un roman sur l’art, sur la folie et sur l’art ou sur la folie de l’art, une très belle lecture qui réserve des pages splendides sur la création artistique ; une lecture bouleversante, autant par son sujet que par les portraits.

Ce roman raconte la création de cette toile immense, comment chacun des personnages, dont trois peintres, sont parvenus devant cette toile, comment ils se donnent à ce projet. Car ce tableau, c’est une rédemption et une célébration. Cette toile, c’est une effrayante, vertigineuse et grandiose traversée, tant par ses dimensions – dans tous les sens du terme – que par ses temps.

Tels des naufragés qui guettent le retour de la colombe et d’une terre d’accueil, leur terre d’accueil et non d’exil, les peintres vivent un état de transe dans cette attente-création. Ils doivent passer-peindre chacune des épreuves. C'est-à-dire que la toile est peinte de multiples scènes qui évoluent, se complètent, se mêlent, se recouvrent ou se rassemblent. C’est l’histoire du monde, de l’humanité. Mise en abime, tourbillon de lectures, au temps le plus fort de la création, Florence lit le soir pour ses compagnons, elle lit les textes fondateurs, les Mille et Une Nuits, Don Quichotte. C’est bien plus qu’une évocation. Et les personnages devant-sur-dans le tableau. Comme aliénés. Ou illuminés.

Elle semble inimaginable cette toile démente et pourtant nous la voyons ; nous la voyons parfaitement parce que c’est exactement ça que raconte Déluge, les scènes et les espaces de cette fresque foisonnante, leur naissance, les traits, les couleurs, ce qui se dévoile : les mythes, Les Écritures, et j’ai envie de copier trois titres de recueils de E. Verhaeren pour décrire « les Campagnes hallucinées, les Villages illusoires et Les Villes tentaculaires » , cités d’acier, cités en flammes, cités de cendres, l’arbre immense sur la hauteur de la toile, le vide sous la lune, un squelette de bois, celui d’une arche, Eve.

Une expédition, une exploration, un pèlerinage aussi puisque c’est également l’histoire d’errance du peintre Florian, de sa folie ou plutôt de sa peur, l’histoire de ses fuites, et surtout ce projet, pour tous, c’est une expérience autant initiatique que méta-physique jusqu’à ce que chacun trouve sa place et s’accomplisse.

La mer porte l’arche. L’arche contient Noé, son clan et les animaux de la terre. Et Noé, que contient-il ? C’est cela qui interroge Noé et qu’il écoute. Il entend peut-être une voix qui lui dit : Tout n’est pas en dehors mais en toi.

Déluge - Actes Sud


Déluge d'Henry Bauchau

Actes Sud (Arles), 2010 - 1re publication

Disponible dans la collection de poche Babel

* Le mois belge d'Anne et Mina *

14 commentaires:

  1. J'aime beaucoup lire cet auteur. Je l'avais dècouvert aussi avec Le boulevard pèriphérique, un roman très touchant. J'ai lu ensuite des oeuvres plus autobiographiques. Il me reste L'enfant bleu dans ma PAL.
    Déluge pourrait me plaire

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    1. Si tu es lectrice de H.Bauchau, il n'y a aucun doute. J'ai retrouvé ses thèmes de l'art, la réécriture des mythes, à travers ses thèmes - qui sont les miens - ce qui donne du sens. Je crois que c'est le plus beau roman de l'auteur parmi ceux que j'ai lu. Une grande lectrice de Bauchau m'a appris qu'il a également écrit " le journal " de sa trilogie sur Antigone, je l'ai noté avec intérêt et enthousiasme. Il y a du théâtre aussi...

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  2. Anonyme20/4/16

    Je ne connais pas non plus, mais il va que je m'y attarde. Merci Mina pour cette belle découverte...

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    1. Cette fois, c'est Marilyne qu'il faut remercier, je l'accueille sur le blog et ne suis qu'"hôtesse". ;)

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  3. Anonyme20/4/16

    Merci pour ton rôle d'hôtesse et à Marilyne pour son rôle de rédactrice... :-)

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    1. Et merci à toi pour ces commentaires :)

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  4. J'ai découvert Bauchau grâce à son Antigone. Le thème de ce roman-là est très attirant pour poursuivre !

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    1. As-tu lu la trilogie " Antigone " ? La reprise en roman de la pièce Antigone est précédée de " Oedipe sur la route " et suivi d'un court texte, une fable fabuleuse ", " Diotime et les lions ", personne et récit repris de l'Antigone et repris à part ( l'histoire de sa jeunesse puisqu'elle apparaît âgée dans Antigone ). Et " Diotime " une très belle lecture, marquante.

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  5. Je n'ai pas encore lu cet auteur mais cela fait des années que je me suis promis de le faire. Il a aussi écrit son Antigone il me semble? Merci rare Maryline de me souffler un autre titre en t'installant un peu chez ton hôte...

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    1. Grand merci à toi pour ce commentaire et ce retour Moka. Je suis installée avec bonheur au Salon de mon hôtesse. Comme toi, lire Bauchau ce fut un long chemin, et c'est celui de cette année. Oui, pour Antigone, une trilogie. J'aime particulièrement sa réécriture des mythes. Je me tourne actuellement vers les essais. Belle lecture à toi :)

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  6. Connais-tu "En noir et blanc" ? Je suis en train de rédiger un billet, j'espère l'avoir terminé avant la fin du mois :D

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    1. Je viendrai donc lire ton billet. ;) Je n'ai jamais lu Bauchau et connais peu son œuvre.

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  7. J'ai aimé ce roman sur la "folie" de peindre où Bauchau parle si intensément de la création et de la vie. J'espère que ton billet lui amènera de nouveaux lecteurs ou lectrices, Marilyne, il en vaut la peine. (Bonne surprise de te retrouver chez Mina.)

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    1. Marilyne23/4/16

      Merci Tania. J'ai la chance d'être accueillie par Mina ( par Anne du blog Des notes et des mots, ainsi que par une blogueuse spécialisée BD ) au gré de nos échanges. J'apprécie cette itinérance en partage, et je suis ravie de t'y croiser à nouveau.
      Oui, pour Bauchau. J'ai tardé à le découvrir et ce fut une rencontre cette année. Que je poursuis avec bonheur.

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