Le colporteur | François-Antoine Chevrier

– Oh, ma foi, s’écria la marquise, vous n’en ferez pas dédit, Monsieur Brochure ; voilà dix louis bien comptés dans ce rouleau d’écus, prenez-les, et faites-moi l’histoire scandaleuse de votre journée… [p. 759]
LE COLPORTEUR de François-Antoine Chevrier, en tant que mouchard dissimulé sous cette profession, est un homme fort bien informé ; introduit dans de nombreuses maisons, où il rend de menus services galants, il colporte aussi bien des ouvrages – moraux, soporifiques, ou licencieux – que les dernières médisances du temps. L’auteur lui-même doit disposer de bonnes sources d’information mondaines, puisque de nombreuses anecdotes, notamment relatives aux actrices, sont attestées dans les archives de la police du XVIIIe siècle. Excepté pour les faits les plus connus du public, les noms des personnages sont masqués ou modifiés. Les clés de lecture se laissent moins deviner qu’à l’époque, mais donnent un bon aperçu de celle-ci au lecteur contemporain.

Dans l’ensemble, les anecdotes colportées prêtent à rire et relèvent du libertinage : maris ou amants trompés, abandons et ruptures, carrière des actrices et prostituées des théâtres, etc. Certaines histoires font néanmoins parfois grimacer, avec un sentiment de désillusion, plutôt que d’amusement, mais l’ironie vient souvent ramener un sourire aux lèvres du lecteur. Le ton du récit est celui de la conversation mondaine, passant du coq à l’âne, d’une tonalité à l’autre ; le colporteur est en effet le narrateur principal, en dialogue permanent avec la marquise de Sarmé et le chevalier. Leur discussion se révèle assez plaisante, bien rythmée et piquante, pour peu que l’on aime la lecture des médisances. De nombreux auteurs en prennent notamment pour leur grade, lors de la présentation de leurs ouvrages.

Bien qu’on ne puisse se détacher tout à fait du sentiment de lire un recueil de ragots, François-Antoine Chevrier soutient faire œuvre morale et n’est pas si loin de convaincre. Le manuel de bonne conduite d’un père à son fils qui conclut un peu étrangement le roman semble en effet inverser les tableaux narrés précédemment et en tirer d’intéressants conseils. Si la technique du contre-exemple n’est pas très efficace, elle a au moins le mérite d’avoir été tentée, ainsi que de m’avoir amusée et instruite quant à l’époque, en tant que lectrice de ces médisances.

Le colporteur - Chevrier

Le colporteur. Histoire morale et critique de François-Antoine Chevrier

Romans libertins du XVIIIe siècle, Raymond Trousson (éd.), Robert Laffont (Paris), coll. Bouquins, 2001, p. 739-884.

1re publication : 1761

6 commentaires:

  1. Oups, ce gros bouquin est à la bibli!

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    1. Plus d'excuse pour ne pas en lire au moins un ! (Même si le gros volume se prête mal aux voyages...)

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  2. J'ai lu l'ensemble des romans de ce recueil mais il y a tellement longtemps que je n'en garde aucun souvenir, j'y reviendrai un jour

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    1. Avec Le colporteur, j'ai enfin terminé l'ensemble du recueil. Quelques titres me restent davantage, mais je ne pense pas garder de souvenir précis de celui-ci non plus, par exemple. Ca me plairait de te lire à l'occasion sur ces titres oubliés.

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  3. Je suis assez tentée mais plus généralement par ton livre "Romans libertins du XVIIIème siècle". Est-ce que tu me conseillerais de l'acheter ? Est-ce que les histoires sont faciles à comprendre ? Ce sont plusieurs auteurs dedans ?

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    1. Sachant que c'est un volume de la collection "Bouquins", c'est un investissement et pas forcément le format le plus pratique. Par contre, les commentaires critiques sont de qualité, et Raymond Trousson était un spécialiste reconnu. C'est une anthologie de plusieurs romans ou nouvelles de 11 auteurs différents. Ca donne un assez bon panorama de ce que peut être le roman libertin (et la préface l'explique parfaitement, elle est une référence à elle seule à mes yeux) et de sa diversité.
      J'hésite à en conseiller l'achat en raison du prix, ça dépend si tu apprécies le roman libertin ; personnellement, c'est une mine d'or pour moi. Concernant la facilité de lecture et de compréhension, je crois que tu as lu Crébillon fils : ses Égarements du cœur et de l'esprit figurent dans le recueil, ça te donne une idée du "niveau de langue". Il y a aussi des notes de bas de page pour expliciter certains termes, et les préfaces de Raymond Trousson pour chaque roman sont instructives (je les lisais après, pour éviter les révélations).

      J'ai chroniqué tous les romans de l'anthologie, à part celui de Crébillon fils si ça t'intéresse :
      - Duclos (uniquement les Confessions) : http://minoualu.blogspot.be/2012/09/badinage-et-libertinage-charles-pinot.html
      - Godard d'Aucour : http://minoualu.blogspot.be/2013/01/badinage-et-libertinage-godard-daucour.html
      - La Morlière : http://minoualu.blogspot.be/2013/10/badinage-et-libertinage-chevalier-de-la.html
      - Voisenon : http://minoualu.blogspot.be/2013/02/badinage-et-libertinage-abbe-de.html
      - Boyer d'Argens : http://minoualu.blogspot.be/2013/07/badinage-et-libertinage-therese.html
      - Fougeret de Monbron : http://minoualu.blogspot.be/2013/07/badinage-et-libertinage-fougeret-de.html
      - Dorat : http://minoualu.blogspot.be/2013/09/badinage-et-libertinage-claude-joseph.html
      - Nerciat : http://monsalonlitteraire.blogspot.be/2014/01/felicia-andrea-de-nerciat.html
      - Vivant Denon (un régal, aussi disponible dans la Petite bibliothèque de Payot-Rivages) : http://minoualu.blogspot.be/2012/12/badinage-et-libertinage-vivant-denon.html

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