Tuer, ne pas tuer | Tchinguiz Aïtmatov

Maintenant, cette histoire inachevée avec Natachka était pour lui ancienne, comme un rêve fané, comme une leçon d’une période révolue de sa vie de dix-neuf ans. Qui plus est, il se mettait en chemin, il partait à la guerre, il partait sans se comprendre lui-même, avec un sentiment compliqué et le cœur gros, dégagé de ce que, par mégarde, son âme inexpérimentée avait été prête à croire. Maintenant, il partait tout d’un coup de la ville de son enfance pour la guerre, au pas cadencé, accompagné chemin faisant par les femmes et les enfants qui couraient dans la rue. [p. 46]
CONTRAIREMENT À CE QUE JE PENSAIS, Tchinguiz Aïtmatov n’est pas l’auteur d’une seule œuvre, de l’inoubliable Djamilia. Outre d’autres romans en kirghiz ou en russe, il a écrit ce court récit sur la Seconde Guerre mondiale, publié 60 ans après sa fin. Il en aborde la violence, d’une façon détournée : par la fuite des oiseaux, qui se heurtent à un avion de chasse, pour montrer les ravages sur l’environnement dans les zones de combat ; par le départ à la guerre d’un jeune homme naïf et moqué par ses camarades ; par un train brûlé, aperçu lors d’un passage en gare ; toujours par un détail, Tchinguiz Aïtmatov sait laisser entrevoir un destin plus général. C’est l’une des grandes forces de son écriture, ici centrée sur l’essentiel, s’attardant peu sur les descriptions et s’en tenant à quelques faits significatifs. Chaque partie du récit semble en effet correspondre à un épisode de vie, a priori indépendant des autres, mais prenant sens avec eux dans ces thèmes de la guerre et du destin. Cela apparaît par exemple nettement pendant la prophétie de la gitane.
Oh là là ! Attends ! Il y aura une grande bataille sans précédent. Oh là là, quel destin, quel destin ! Et seul le soleil ne sera pas aspergé de sang… Et le cheval s’enfuira au galop sans cavalier [p. 56]
Ce passage est également représentatif du style rythmé de Tchinguiz Aïtmatov, particulièrement marqué dans le dernier épisode, lorsque le bruit des roues du train fait écho à l’interrogation lancinante du titre : « tuer, ne pas tuer ? », soit obéir aux ordres ou refuser ce destin collectif ?

Tuer, ne pas tuer - Aitmatov

Tuer, ne pas tuer de Tchinguiz Aïtmatov, traduit du russe par Pierre Frugier

Éditions des Syrtes (Paris), 2005

* LC avec Marilyne *

4 commentaires:

  1. Je ne connaissais pas ce texte, merci pour la découverte !

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    1. Tant mieux si je te le fais découvrir ! Une trouvaille de librairie pour moi.

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  2. Comment fais-tu pour lire des ouvrages dont je n'ai jamais entendu parler et que l'on ne trouve pas sur d'autres blogs ? Tu y vas au feeling ? Ton libraire te conseille ? Où t'informes-tu ?

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    1. Tu viens de mettre le doigt sur ce qui m'isole sans doute des autres blogs... Je fais mes choix au feeling généralement et en librairie. Je ne me fais pas conseiller par les libraires (mes demandes sont tellement "exotiques" que je m'estime déjà heureuse quand on prend la peine de faire une recherche), mais leurs mises en évidence sur les tables et leurs rayonnages m'influencent. Je vais le plus souvent chez Tropismes, qui propose des éditeurs assez variés et des livres moins connus. J'ai pris l'habitude pendant mes études de me diriger vers les rayons de littérature belge et les éditeurs belges aussi. Je suis les parutions de quelques-uns sur leurs sites.

      En ce qui concerne ce titre de Tchinguiz Aïtmatov, c'est une trouvaille dans le rayon de littérature russe chez Tropismes ; j'ai craqué sur le seul nom de l'auteur, après avoir adoré Djamilia (lui-même déniché il y a des années dans une anthologie de textes amoureux). Pour En marge de Casanova, c'était exceptionnellement grâce à un post sur Facebook : Casanova, éditeur belge et auteur hongrois, je n'ai pas hésité. Beaucoup de feeling donc.

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