C’est l’histoire d’une furie, de quelqu’un qui s’en va larguer la déveine à l’insu de tout le monde. Il faut partir, courir, jeter le sac entre ville et néant. Le train, pourquoi le train ? Lui seul casse le monde en deux, et la rafale, et le pays trahi. Lui seul ne peut cesser sa course à l’assaut d’une épave. [1. Il fait trop grand pour ma nuit]
UN DÉSESPOIR, la décision de partir, une marche le long des rails de train, une crainte de ma part d’un arrêt sur ceux-ci, qui se fait heureusement dans une grotte près d’un ruisseau, un « rieu de rien » ; l’histoire de ce Pierrot de rien est vite résumée, et Françoise Lison-Leroy ne nous en dit pas beaucoup plus. Dans un style imagé, elle suggère en effet davantage qu’elle n’écrit les raisons de ce chagrin. L’évocation demeure pudique, exprimée par des métaphores, des euphémismes et d’autres procédés poétiques dans de brefs paragraphes. Ceux-ci se présentent de façon plus fragmentée, hachés par des barres obliques, dans la deuxième partie, comme pour suivre les pas du narrateur sur la voie ferrée. Le texte gagne alors en rythme, se débarrasse des préoccupations grammaticales et prend la forme d’une énumération. La narration revient ensuite à une formulation plus classique dans la dernière partie, celle d’un apaisement progressif.
il faudrait dire pourquoi / pourquoi le train et ses ferrailles / ce trajet sans retour / l’appel des haies et des tunnels / et plus loin / jusqu’au bout des possibles / un océan / un abri / un lieu en soi / où nicher la détresse / le grand chagrin ventru / qui s’accroche à mes reins [2. Un train peut en cacher un autre]
Les dessins d’Anne Leloup, toujours dans une esthétique abstraite, évoluent eux aussi en fonction de la partie du livre dans laquelle ils se trouvent. Le cercle et les formes arrondies sont d’abord exploités, dans les teintes grisées, à l’image de l’âme du narrateur enfermé dans son désespoir, tel un cocon destructeur. Les lignes prennent ensuite le relais dans la deuxième partie, comme des fétus d’herbe ou de nouveaux chemins à suivre. Enfin, la végétation, finement dessinée, prend une importance croissante et se déploie tout à fait lors de l’arrêt du narrateur près du ruisseau.
3. Rieu de rien |
Une évocation pudique et poétique.
NOTE | Autour d’Esperluète : après son cadeau si attentionné et dédicacé, je ne pouvais en partager la lecture qu’avec Anne, malheureusement déçue ; merci encore à toi pour ce Pierrot de rien.
Pierrot de rien de Françoise Lison-Leroy (récit) et Anne Leloup (dessins)
Esperluète (Noville), coll. Livres, 2014 – 1re publication
* À la découverte d’Esperluète *
* Le mois belge d’Anne et Mina *
Esperluète (Noville), coll. Livres, 2014 – 1re publication
* À la découverte d’Esperluète *
* Le mois belge d’Anne et Mina *
J'attends de lire l'avis d'Anne, mais la mélancolie suggérée dans ton billet me plaît.
RépondreSupprimerJ'attends aussi sa lecture et son avis ! C'est un joli texte, et je me demande s'il te plairait à présent : l'ambiance, oui, l'écriture, je ne sais pas par contre.
SupprimerEnorme déception pour moi, j'ai l'impression de n'avoir rien compris ou presque... Bien trop elliptisue pour moi ce petit livre, dommage. Peut-être la frontière floue entre poésie et récit n'a-t-elle pas fonctionné ici.
RépondreSupprimerComme nous l'avons évoqué pendant notre discussion, je crois que ne pas connaître le projet de l'auteure m'a aidée à imaginer sans attente particulière (et quelque peu à côté en l'occurrence). Je pense aussi que la poésie a pris le pas sur le récit et l'a rendu trop elliptique.
SupprimerMalgré ton billet plus positif que celui d'Anne, je ne suis pas convaincue... L'écriture poétique ne suffit pas toujours ! ;)
RépondreSupprimerJe comprends, j'ai vu ton commentaire chez elle, et il faut vraiment "reconstituer" l'histoire soi-même à partir des bribes. Je préfère moi aussi quand le parti pris est plus explicite.
SupprimerIl y a une douce mélancolie qui pourrait me plaire. De la poésie à petit pas dirait-on !
RépondreSupprimerJe crois que tu as trouvé l'expression juste, c'est exactement ça ! Après la déception d'Anne, je suis curieuse de lire comment d'autres pourraient recevoir le texte.
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