Les profonds chemins | Françoise Houdart

Si j’ai bien compris, vous projetez d’écrire un livre. Un livre sur Victor Regnart, mais qui ne sera pas une biographie. Pas exactement cela. Ni tout à fait un roman. Vous me dites que votre démarche est celle d’une exploratrice. Vous avez utilisé un mot qui n’existe pas, je pense. Vous dites que vous explorez les marges « insondées » de la vie de l’artiste. Insondées… Il est assez juste, d’ailleurs. « Insondables » signifierait autre chose. Qu’on a tenté en vain d’y fourrager. Tandis que là… C’est comme un gisement intact encore. [Témoignage de Jean, p. 36]
FRANÇOISE HOUDART se montre claire dès l’introduction, « ce livre est fiction », selon la définition qu’en donne Ernest Hemingway (« un livre de fiction peut éliminer ou dénaturer, mais il donne une image fictionnelle d’une époque et es gens qui y vivaient » [p. 11]). Ni biographie ou monographie, ni tout à fait un roman, son texte se veut une recherche à la rencontre du peintre-graveur Victor Regnart, un parcours à travers les profonds chemins de sa région du Borinage et de sa personnalité.

Tableau de V. Regnart
Victor Regnart, Procession à la campagne

Ainsi qu’indiqué dans la deuxième partie, consacrée à la genèse de l’histoire, on en sait assez peu sur la vie de Victor Regnart, resté la majeure partie de sa vie dans son village d’Élouges, entouré des femmes de sa famille, et à Mons, où il a enseigné à l’Académie royale des Beaux-Arts. Françoise Houdart a donc procédé par tâtonnements et recoupements à partir de son œuvre, ainsi que des documents fournis par les descendantes du peintre : des carnets de notes, des esquisses, des photographies, et divers papiers. Cela se ressent dans le texte, où elle invite le lecteur à la suivre dans ces recherches, ses découvertes successives, tout en conservant une narration chronologique. L’histoire débute par la mort du peintre, les funérailles et l’évocation de l’homme par les voisins – ces formules qu’on entend si souvent dans ces moments-là –, avant de revenir en arrière et d’entrer dans l’atelier, grâce aux souvenirs d’une nièce chez qui se déroulait le dernier hommage au mort.
Quelque chose est arrivé ce soir et le ciel s'en émeut. La mort d'une seule étoile parmi des milliards d'autres peut-elle ainsi bouleverser l'ordre de l'univers ? La mort d'un seul homme parmi des milliards d'autres peut-elle changer celui du monde ?
Andréa ne le sait pas. Ni si là-haut une étoile est morte dont la lumière pourtant ne cessera de briller encore longtemps. Ce qu'elle sait, c'est qu'ici, dans sa petite maison, un peintre est mort cette nuit.
Et qu'il s'appelait Regnart.
[p. 20]
Peinture de V. Regnart
Victor Regnart, Nu au drapé rouge
Mêlant les passages à la première et à la troisième personne du singulier, le récit se déroule selon les souvenirs des uns et des autres, qu’il s’agisse de sa famille, d’amis, de villageois, d’autres artistes ou même de personnages peints par Victor Regnart. Françoise Houdart adopte leur regard ou leur donne la parole lors des témoignages, dans lesquels elle se met en scène en tant qu’interlocutrice de ces fantômes. Elle reconstitue avec eux les grands évènements de la vie de Regnart, ainsi que ses réflexions sur son art, ses doutes, et son intimité. Elle narre également la genèse de certains tableaux : les illustrations du Bal du comte d’Orgel de Radiguet, la Femme nue lisant, la Suzanne au bain, L’Escappé, sans oublier la peinture des courettes auquel on a trop souvent réduit l’art de Regnart et ses gravures.

Françoise Houdart livre donc un très bel hommage à ce peintre méconnu, qui ne se voulait d’aucune école, en dépit du foisonnement artistique des années folles et de celles qui suivront. En empruntant le parler des villageois sans se départir de son écriture élégante, rencontrée avec La danse de l’abeille pour ma part, elle restitue l’atmosphère de l’époque, aussi bien celle bouillonnante de Paris en ses « ruches » que celle du village. L’intimité du peintre en particulier est abordée avec délicatesse, en en soulevant le voile sans brusquerie et en laissant le soin au lecteur de deviner les silences, comme Regnart ne dévoilait pas tout dans ses nus. L’analyse de l’œuvre est quant à elle très fine, décrivant mais aussi interprétant, en en dépassant l’apparente simplicité. En cela, elle se montre fidèle à l’esprit de Regnart qu’« une œuvre d’art [ne] satisfait pas entièrement si elle ne comporte pas une part de spiritualité. » [p. 133]

Peinture de V. Regnart
Victor Regnart, Buveurs de bière

Une flânerie sur les profonds chemins de Victor Regnart.

NOTE | Autour de Luce Wilquin : elle aussi fidèle lectrice de cette éditrice, Anne a choisi A contretemps de Michelle Fourez.

Les profonds chemins - Françoise Houdart

Les profonds chemins… dans les pas de Victor Regnart, peintre-graveur de Françoise Houdart

Luce Wilquin (Avin), 2013 – 1re publication

* Le mois belge d’Anne et Mina *

8 commentaires:

  1. Ouuuh voilà un joli livre qui pourrait s'ajouter à ma liste d'envie "un livre/un peintre" ;)

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    1. Ah mais oui, j'aurais pu y penser pour notre swap ! Je pense qu'il te plairait. :)

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  2. Je suis contente de lire ton billet : une belle lecture commune autour de notre éditrice chouchou et un beau livre que j'ai la chance d'avoir encore à découvrir !

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    1. Oui, cette LC fait du bien, après deux choix moins heureux dernièrement ; revenir aux "chouchous" a du bon, tout de même. Tu as de la chance d'avoir encore ce livre à découvrir, et je me réjouis à l'idée de tous les autres qu'il me reste à lire de Françoise Houdart !

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  3. Très beau billet qui m'a convaincue de rajouter ce livre à ma liste !
    Bonne journée.

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    1. J'en suis très contente et t'en souhaite une aussi belle lecture qu'à moi.
      Bonne journée.

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  4. Bien qu'étant de la région, je ne connaissais pas Victor Regnart. Le style déjà rencontré de Françoise Houdart et ton billet, me donnent envie de le découvrir.

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    1. Je pense vraiment que les romans de Françoise Houdart pourraient te plaire, La danse de l'abeille est à part et peu représentatif des deux autres titres que j'ai lus. Je crois que tu apprécies les romans biographiques aussi, non ?

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