Les blondes à forte poitrine | Isabelle Baldacchino

IL Y A DES LIVRES dont on guette longtemps la parution et dont on attend sans doute trop ou autre chose. Ce fut le cas pour moi avec ce second recueil d’Isabelle Baldacchino : j’ai beaucoup aimé Le manège des amertumes et espérais retrouver dans Les blondes à forte poitrine la même plume incisive, ainsi que l’ironie féroce, teintée d’autodérision. J’ai donc été assez déstabilisée et déçue de constater qu’Isabelle Baldacchino avait plutôt (sur)exploité l’oralité dans ses nouvelles jusqu’à la familiarité, voire la grossièreté. Coprolalie témoigne par exemple bien de cette esthétique qui, si elle correspond aux personnages à qui est confiée la parole, me déplaît fortement et m’a empêchée d’apprécier les premiers textes.
Il faut beaucoup d’humour pour comprendre l’humanité. Et beaucoup de mots crus. Les gens croient que l’érudition passe par le niveau de langue, mais il y a une certaine créativité à explorer l’impudeur sémantique. Vous croyez vraiment que ce qui lie les gens, c’est la moralité, la recherche de sociabilité, la communication et toutes ces conneries pseudo-sémiologiques ? La vie n’a aucun sens sans l’insulte. [Coprolalie, p. 21-22]
L’humour mentionné dans l’extrait est également très présent, sous différentes formes : le ridicule des personnages (J’aime, Courbe de Bézier, On the road again), l’autodérision (en particulier dans Chokotoffs, l’une des rares à m’avoir arraché un sourire), le détournement des attentes du lecteur (Géant, par exemple, se termine avec une sentence qui m’a rappelé L’attente) et la construction ludique du recueil. Chaque nouvelle débute en effet par les derniers mots de celle qui la précède, faisant du livre une boucle sans fin.

Néanmoins, l’humour ne cache pas entièrement la noirceur des destins entrevus et ne parvient pas à se glisser dans certaines nouvelles. Sans surprise, ce sont celles-là qui ont su me toucher par la tendresse qui y affleurait (Géant, La photo et Des plâtres et des béquilles) ou par leur férocité (Au suivant, à la progression narrative implacable, et Le bal des fantôches, dont le dégoût âcre m’est resté en bouche). Marcasse, également, m’a beaucoup plu par son ancrage historique, son dépouillement et l’émotion qui s’en dégageait sans excès. Le contraste était d’autant plus fort après des nouvelles comme J’aime, Indigne et Réunion de famille dans lesquelles des débordements étaient mis en scène.

En conclusion, les nouvelles d’Isabelle Baldacchino sont toujours aussi noires, amères comme le désespoir du quotidien, teintées d’humour ou de tendresse, et ancrées dans la vie des « petites gens », ainsi que dans leur langue.

NOTE | Autour de Quadrature : j’ai partagé la lecture de ces Blondes à forte poitrine avec Laeti, aussi impatiente et malheureusement mitigée que moi.

Les blondes à forte poitrine

Les blondes à forte poitrine d’Isabelle Baldacchino

Quadrature (Louvain-la-Neuve), 2015 – 1re publication (à l’exception d’Au suivant paru dans le collectif Strip-tease chez Luce Wilquin)

* Le mois belge d’Anne et Mina *
* SP reçu de l’éditeur *

8 commentaires:

  1. Comme on en a discuté, trop d'attentes sans doute et la comparaison avec le premier recueil (incontournable ceci dit) ont sans doute influencé notre lecture dès le départ. Je n'ai déjà plus aucun souvenir de certaines nouvelles, mais d'autres m'ont touchée par ailleurs.

    C'est rigolo car je ne retiens pas du tout celles que tu as préférées :) Au suivant, par exemple, m'a laissée de marbre, voire mal à l'aise. J'ai aimé Marcasse comme toi, ainsi que les clins d'oeil plus nombreux que dans Le manèges des amertumes, à sa région du Borinage.

    Je retiens surtout le plaisir d'une nouvelle LC avec toi!

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    1. Oui, cette LC était un vrai plaisir, et c'est sans doute ce qui me restera, plutôt que la majorité des nouvelles. Il me semble que les textes les plus sombres et cruels me parlent davantage qu'à toi, même si j'aime aussi la tendresse pour certains personnages qui se glisse ailleurs.

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  2. Je reste tout de même fortement (wharf) intéressée malgré tes bémols ! Très curieuse même...

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    1. Je l'espérais bien, notamment de ta part ! Je sais que mes bémols n'en seront pas pour d'autres, et tant mieux. J'attendrai maintenant ta lecture, en te la souhaitant meilleure qu'à moi. ;)

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  3. Après lecture de ton avis, je confirme que je passe, n'étant pas une grande fan de l'oralité en littérature (et surtout sur tout un recueil).

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    1. Je m'en doutais un peu. L'oralité n'est pas utilisée dans toutes les nouvelles, mais une bonne part d'entre elles, et je pense que ça t'agacera autant que moi.

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  4. Je ne suis pas tentée du tout (déjà parce que les nouvelles ce n'est pas mon truc) mais rien que le titre me fait fuir, il y a une certaine vulgarité la dedans (rien à voir bien sûr avec le fait que je sois brune et plate), mais ça annonce tout de suite l'oralité que tu regrettes de mon point de vue. Tu sais que je crois que quand on parle de noirceur, quand on dénonce un peu le moche des Hommes, on doit se tenir à la langue la plus soutenue possible, pour appuyer le propos et éviter la redondance.

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    1. Je pense qu'Isabelle Baldacchino a voulu jouer de cette vulgarité et d'un certain côté accrocheur avec le titre (c'est plus ou moins dit dans "Chokotoffs"), qui m'aurait moi aussi fait fuir en d'autres circonstances, mais je me suis précipitée sur ce dernier recueil de l'auteure sans me poser de questions, juste parce que c'était elle... J'ai lu un article où elle évoque son projet d'écriture, qui serait centré sur l'incapacité de communiquer, le fait de ne pas avoir les mots pour (se) dire ; le style est donc justifié, mais ne peut pas plaire à tout le monde, et je ne suis pas étonnée qu'il ne t'attire pas.
      Je suis assez d'accord avec toi pour cette façon d'écrire la noirceur, sans en rajouter.

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