La Promenade d'Ostende | Michel Van den Bogaerde

De quoi une vie est-elle pleine : des haillons déchirés où l’on peine à reconnaître une idée d’ensemble, de la chaleur d’avoir été aimé et d’avoir aimé des gens et des chats. Rien de plus, rien de moins, et cette plaine immense, sans heurts et sans reliefs. [Toute une vie sans vous, p. 119]
DANS LES TROIS FICTIONS réunies dans ce recueil, Michel Van den Bogaerde joue de l’esthétique du fragment. Des souvenirs reconstitués par bribes dans La promenade d’Ostende, des extraits d’un carnet de notes dans Toute une vie sans vous et d’une correspondance dans les Dialogues pour l’étrangère sont livrés au lecteur, chargé de reconstituer les parties manquantes et de chercher un sens dans celles qu’il lit. Cela s’applique particulièrement au dernier texte, constitué de messages envoyés à une femme aimée, sans les réponses de celle-ci, et auxquels s’ajoute un « dialogue » avec lui-même du narrateur, comme une remise en cause ironique de sa propre écriture. Toute une vie sans vous apparaît également comme un monologue, comme des notes en souvenir d’amours anciennes. Chacune présente le début d’une histoire avortée, le scénario d’une vie qui ne s’est pas réalisée et ne se réalisera plus, car « nous sommes tous, toujours, le résultat d’un seul possible… » [p. 138]

Ces motifs étaient déjà présents dans la fiction qui donne son nom au recueil, La promenade d’Ostende, la plus aboutie et la plus complexe, voire nébuleuse, selon moi. À partir d’un fait simple – une promenade à Ostende, avec une femme que le narrateur laissera partir et retrouvera des années plus tard –, Michel Van den Bogaerde fait transparaître son travail d’écrivain sur le souvenir. Il le conçoit comme un palimpseste, un texte effacé mais qui se devine encore et détermine celui qu’on lui a superposé. La tentative de décalquage ne peut donc qu’être partielle et une réécriture : tout souvenir est une fiction et une reconstruction de la mémoire, semble-t-il vouloir dire par cette métaphore.
Le problème des palimpsestes, c’est l’épaisseur des trames, le poids relatif des histoires. Bien sûr, je n’ai pas rejoué la même pièce toute une existence, mais elle m’interdit certaines choses, m’en imposa d’autres et me fit négliger ce que le commun des mortels associe à son quotidien. [La promenade d’Ostende, p. 14]
Mon interprétation, renforcée par la troisième conclusion (Dépendance III : à la Côte), explique les bribes poétiques des premières pages, les « c’est une histoire de… » qui les émaillent, ainsi que la narration plus précise par la suite et les réflexions théoriques relatives au palimpseste. Malheureusement, à trop intellectualiser son récit, Michel Van den Bogaerde l’a privé de son essence première : l’émotion inhérente au souvenir, même ténue. Si le procédé peut paraître intéressant, il rend l’ensemble peu plaisant et peu susceptible de toucher le lecteur.

NOTE | Quelques jours au bord de l’eau : la thématique autour de l’eau s’achève avec Murmure des soirs et ces nouvelles de Michel Van den Bogaerde, dont j’ai à nouveau partagé la lecture avec Anne.

La promenade d'Ostende - Michel Van den Bogaerde

La Promenade d’Ostende suivi de Toute une vie sans vous et de Dialogues pour l’étrangère de Michel Van den Bogaerde

Murmure des soirs (Esneux), coll. Soirs en poche, 2014 – 1re publication

* Le mois belge d’Anne et Mina *

2 commentaires:

  1. Ton billet permet de bien comprendre le procédé d'écriture et les intentions de l'auteur, ce sera plus clair pour ceux qui voudraient tenter cette lecture ;-)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. J'ai fait au mieux :) L'idée de fragment s'est imposée après la lecture des deux autres textes, et j'aurais en effet apprécié le savoir avant de débuter...

      Supprimer

NOTE : tous les commentaires sont les bienvenus et modérés avant publication. Il est plus sympathique de savoir à qui l'on écrit, plutôt qu'à un "anonyme" ; je vous invite donc à utiliser la fonction "Nom/URL" pour indiquer votre nom ou pseudonyme si vous n'avez pas de compte pour vous identifier (la case de l'URL est facultative).