Casanova : un Européen au siècle des Lumières

EN 2007, s’est tenu à l’Hôtel de Ville de Bruxelles un colloque consacré à Casanova, le célèbre voyageur du XVIIIe siècle. Chacun des intervenants – spécialistes, philosophe et passionné – ont présenté une facette de cet auteur, souvent réduit à son image de séducteur et d’aventurier. Lydia Flem, tout d’abord, a rappelé sa place d’écrivain : Casanova est en effet un mémorialiste, rattrapé par son « personnage », un épistolier prolixe, et un chroniqueur en quelque sorte ; il a laissé de nombreuses notes. L’écriture était pour lui une passion et une recherche de l’immortalité littéraire, ainsi qu’un moyen de parvenir dans les hautes sociétés, à défaut de posséder un nom à même de lui ouvrir ces portes. En devenant un personnage et en faisant de sa vie une œuvre par l’intermédiaire de ses Mémoires, il a inspiré de nombreux écrivains et s’est ainsi placé parmi eux. Lydia Flem cite à ce sujet son influence sur Stendhal, Musset, Sainte-Beuve, Barbey d’Aurevilly, Anatole France ou encore Zola. Apollinaire lui a même consacré une pièce de théâtre.

Plus loin, Marie-Françoise Luna revient quant à elle plus particulièrement sur la production épistolaire de Casanova, qui peut être divisée en deux grandes périodes : avant et après son installation à Dux, en Bohème, en tant que bibliothécaire. Devenu âgé, malmené par les domestiques et casanier, par la force du temps, il écrit davantage à ses amis, avec qui il cherche à garder un contact. Auparavant, lors de sa vie d’aventures, sa correspondance est plus utilitaire : il cherche à se défendre lors de démêlés avec diverses instances de pouvoir, démarche pour des emplois et des protections, propose des projets et demande sa grâce. Homme de Cour, il sait manier la plume et faire participer ses lettres de l’esprit de conversation qui règne dans les salons et que l’on recherche tant à l’oral qu’à l’écrit.

De cette correspondance, Roland Mortier a retenu l’amitié entre Casanova et le prince de Ligne, l’un des premiers lecteurs de son Histoire de ma vie, lui-même mémorialiste et conseiller littéraire assidu, à qui nous devons la publication de ce texte et un portrait de son ami. Dominique Cornez a ensuite émis l’hypothèse d’un Casanova franc-maçon, en s’appuyant sur ses Mémoires, tandis qu’Yann Grappe y a recherché les témoignages d’un bon mangeur, afin de reconstituer un menu du XVIIIe siècle à la suite du colloque.

Parmi tous les articles produits dans ce cadre, deux ont particulièrement retenu mon attention et concernent la séduction de Casanova. Raymond Trousson, en spécialiste du roman libertin*, s’est attaché à situer Casanova dans cette tradition littéraire. Contrairement à ce que les apparences pourraient laisser présager, il ne le place pas dans la lignée des roués – dont le plus connu est sans doute Valmont –, ces libertins plus cérébraux que sensuels. Casanova use bien de stratégies amoureuses, mais n’y trouve pas son plaisir principal : il aime les femmes, qu’il ne cherche pas à humilier, et les plaisirs de la chair. Pour cette raison, ses Mémoires constituent parfois une alliance du roman libertin mondain et du roman sentimental, pourtant construits en opposition l’un de l’autre.

Enfin, le philosophe Corentin de Salle s’est penché sur la mécanique de la séduction de Casanova, non uniquement d’un point de vue amoureux, mais plus généralement celle qu’il exerce sur ses contemporains, son entourage et son lecteur. Il s’agit de la séduction d’un courtisan, d’un parvenu qui cherche à plaire et d’un aventurier nomade, vivant dans un présent perpétuel ; en cela, il se distingue radicalement de Don Juan, ainsi que le montre la synthèse dichotomique de Corentin de Salle. Tous deux s’opposent par leur nature (un mythe et un homme), leur époque, leur pays et leur naissance. Leur séduction ne peut donc être la même, Don Juan prend ce qu’il estime lui être dû, quand Casanova donne sans compter et ne peut obtenir ce qu’il souhaite sans contrepartie, ne fut-ce qu’un bref amusement ou récit. La philosophie de sa séduction se caractérise ainsi par l’équivocité (l’entretien d’une certaine ambigüité, indispensable à toute entreprise séductrice), par l’herméneutique, c’est-à-dire la compréhension et l’utilisation des signes (qualifiés de « communication non verbale » de nos jours), et par l’imposture. Pour ce dernier point, sa maîtrise des langues étrangères, son sens de la narration et son érudition y contribuent en grande partie et lui permettent d’inspirer confiance.

En conclusion, ces actes de colloque sont d’intéressants articles pour mieux cerner les multiples facettes de Casanova et une bonne introduction à la lecture de son œuvre.

* NOTE : si vous vous intéressez à ce sujet, je me permets de vous renvoyer à mes articles théoriques à ce sujet sur Mina a lu, en particulier à celui consacré aux Petits-maîtres et roués de Philippe Laroch, où j’ai résumé une bonne partie de ce qu’explique Raymond Trousson et que je n’ai pas voulu répéter encore ici.

Casanova : actes de colloque
Casanova : un Européen au siècle des Lumières, actes du colloque organisé par la Bibliothèque Centrale pour la Région de Bruxelles-Capitale, le 14 novembre 2007 à Bruxelles

Bibliothèque publique centrale pour la Région de Bruxelles-Capitale et Cooremans (Bruxelles), 2009

* Le mois belge d’Anne et Mina *
* Un rendez-vous avec Casanova *
* Projet non fiction *

4 commentaires:

  1. Quelle lecture consistante, j'admire !

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    1. J'ai déjà lu plus consistant sur le sujet, mais c'est une bonne introduction à Casanova pour moi, et j'aime beaucoup le format des articles scientifiques (qui paraîtra trop aride ou consistant à d'autres, je le sais).

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  2. Casanova est un personnage très complexe et on prend vite la mesure, pour peu qu'on se penche un peu plus sur sa vie...c'est vrai que c'est son côté séducteur qui ressort en premier mais il a été bien plus que ça et a fini sa vie de façon très émouvante...le revers a finalement été aussi amer que la gloire a été exaltante pour lui.

    https://www.instagram.com/lesbooksdalittle/

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    1. J'aimerais lire ses Mémoires un jour et retrouver sa vie sous sa plume, son propre point de vue. Pour les séducteurs, il me semble que le revers de la vieillesse est souvent amer, à moins d'une mort jeune ou de savoir raviver sa jeunesse par l'écriture, comme Casanova.

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