BARBE BLEUE, le Chat botté, Cendrillon, le petit Poucet ou encore Peau-d’Âne : qui n’a jamais lu, vu ou entendu les aventures d’au moins un de ces héros ? Tous ont accompagné bien des enfances de leur persévérance face aux obstacles ou de leurs ruses pour échapper aux méchants. Les jeux d’opposition entre les personnages – en particulier dans Les fées, par exemple – ont nourri les imaginaires, de même que les parcours initiatiques vers une existence plus heureuse.
Si tous ces contes sont si connus, pourquoi vouloir alors lire la version de Perrault ? Outre le plaisir des histoires narrées dans cette belle langue classique et rythmée, j’apprécie personnellement déceler les variations autour de ces imaginaires populaires communs. Il est généralement connu que l’histoire du petit chaperon rouge s’arrête avant qu’un chasseur ne soit venu le sauver, mais on sait moins que la belle au bois dormant n’est pas au bout de ses peines après son mariage ou qu’Aurore est le prénom de sa fille, et non le sien, selon Perrault.
Plus encore, il me semble intéressant d’observer l’influence de l’époque sur la narration des contes. De ce point de vue, les préfaces des deux recueils réunis par Librio sont assez instructives.
Si tous ces contes sont si connus, pourquoi vouloir alors lire la version de Perrault ? Outre le plaisir des histoires narrées dans cette belle langue classique et rythmée, j’apprécie personnellement déceler les variations autour de ces imaginaires populaires communs. Il est généralement connu que l’histoire du petit chaperon rouge s’arrête avant qu’un chasseur ne soit venu le sauver, mais on sait moins que la belle au bois dormant n’est pas au bout de ses peines après son mariage ou qu’Aurore est le prénom de sa fille, et non le sien, selon Perrault.
Plus encore, il me semble intéressant d’observer l’influence de l’époque sur la narration des contes. De ce point de vue, les préfaces des deux recueils réunis par Librio sont assez instructives.
Quelque frivoles et bizarres que soient toutes ces Fables dans leurs aventures, il est certain qu’elles excitent dans les Enfants le désir de ressembler à ceux qu’ils voient devenir heureux, et en même temps la crainte des malheurs où les méchants sont tombés par leur méchanceté. N’est-il pas louable à des pères et à des mères, lorsque leurs Enfants ne sont pas encore capables de goûter les vérités solides et dénuées de tous agréments, de les leur faire aimer, et si cela se peut dire, les leur faire avaler, en les enveloppant dans des récits agréables et proportionnés à la faiblesse de leur âge ? [Préface des Contes en vers, p. 69-70]Tout en s’inscrivant dans la mode des contes à la fin du XVIIe siècle, Perrault a donc le projet d’instruire les jeunes enfants de la Cour, en édulcorant des récits populaires et en leur donnant un caractère didactique. Les faits se déroulent rapidement, selon le schéma narratif bien connu, jusqu’à une petite moralité mettant en exergue les valeurs défendues par le héros (la persévérance, l’amabilité, la bonne grâce, la patience) ou invitant à la méfiance vis-à-vis des séducteurs et de la tentation de la curiosité.
Les adultes d’autrefois et d’aujourd’hui, moins friands de ces morales parfois vieillies, peuvent quant à eux trouver leur compte dans les pointes d’ironie de Perrault. Celui-ci, conscient de l’invraisemblance de certains comportements, n’hésite pas à en souligner le ridicule et à apporter un peu de sel à sa narration. Les « autres moralités », tournées vers la vie mondaine, s’inscrivent dans le même esprit ironique. Elles mettent également en évidence la distance entre les vertus prônées aux enfants et leur application plus souple à la Cour. À cet égard, ce n’est pas sans doute pas un hasard si le recueil de contes en vers s’achève par Les souhaits ridicules et rappelle qu’il n’appartient pas à tous de transiger raisonnablement avec les vertus.
Bien est donc vrai qu’aux hommes misérables,
Aveugles, imprudents, inquiets, variables,
Pas n’appartient de faire des souhaits,
Et que peu d’entre eux sont capables
De bien user des dons que le Ciel leur a faits.
[Les souhaits ridicules, p. 127]
NOTE | L’heure du conte : en ce jour de Noël, Marilyne et moi avons privilégié la tradition européenne : que diriez-vous d’un tour au jardin avec Andersen ? Il y a deux jours, Martine nous a quant à elle accompagnée avec le conte de Gilgamesh selon Myriam Mallié.
Histoires ou contes du temps passé, avec des moralités, suivies de Contes en vers de Charles Perrault
Librio (Paris), 1994
1re publication des recueils : 1694 et 1697
Comme toi, je trouve très intéressant, essentiel même, de revenir à cette version " originale " des contes traditionnels, avec cette petite morale en exergue. Les jeunes lecteurs en sont toujours étonnés et ils portent un regard différent sur le conte, sur le genre, bien loin de les en détourner, au contraire. Ils perçoivent mieux sa dimension. Du moins, c'est mon expérience avec les jeunes et les contes. Il ne me semble pas que ce soit tant édulcoré dans la mesure où la violence-cruauté de l'histoire est préservée. C'est en cela aussi que, finalement, les jeunes lecteurs apprécient le conte, le redécouvre ( et le range moins vite dans les " petits souvenirs d'enfance ", lui enlève cette connotation de puérilité )
RépondreSupprimerMerci pour ces précisions quant à la lecture que les plus jeunes peuvent faire de ces contes. Il est vrai que la morale met en évidence toute cette dimension "didactique", au-delà d'une jolie histoire.
SupprimerEn ce qui concerne le fait que ce soit "édulcoré", c'est une information que j'ai trouvée en me renseignant, les contes narrés parmi le peuple étaient apparemment plus cruels encore (bien qu'il me semble que tu as raison et qu'une certaine cruauté demeure dans l'abandon des enfants ou dans le cannibalisme de l'ogre, entre autres). Sans doute est-ce l'expression, plutôt que les faits, qui sont adoucis.
Bien des années plus tard, Maurice Ravel s'est laissé inspirer par ces contes et en a mis en musique !
RépondreSupprimerJe l'ignorais, lesquels a-t-il mis en musique ? J'essayerai de les trouver, ça m'intéresserait d'en écouter une autre interprétation.
SupprimerCa s'appelle "Ma Mère l'Oye" avec des musiques pour la Belle au bois dormant, le Petit Poucet, Laideronnette impératrice des pagodes, La Belle et la Bête et Le jardin féérique. Trois versions : Suite pour piano, oeuvre symphonique et ballet.
SupprimerMerci ! Certains contes ne sont pas dans mon édition par contre (La Belle et la Bête, par exemple, et j'ai un doute pour Laideronette et Le jardin féérique, peut-être nommés différemment chez Perrault), il a aussi dû s'inspirer d'autres contes français de la même époque.
SupprimerJe ne dirais pas que Myriam Mallié a rédigé une "réécriture" de Gilgamesh. Elle a plutôt considéré les personnages principaux d'une autre manière, en tentant de percer leurs personnalités profondes.
RépondreSupprimerMerci pour cette précision, je vais modifier l'annonce. Les textes de Myriam Mallié me semblent souvent difficiles à classer et à qualifier, elle y mêle beaucoup d'éléments.
SupprimerAh, les contes ! Que de souvenirs ! C'étaient mes premières lectures, j'ai eu un passage en primaire où je n'ai lu que des contes, tous ceux que je trouvais à la bibliothèque... Je ne saurais expliquer cette passion pour les contes (de fées notamment), j'avais même entrepris un peu plus tard, au collège, la lecture de la psychanalyse des contes de fées de Bettelheim... mais bien complexe pour moi, à l'époque ! Bref !
RépondreSupprimerCette heure du conte est tout à fait appréciable, cela me rappelle aussi ma formation à l'art de conter, un chouette moment... Je crois que je suis définitivement "fan" des contes, j'apprécie aujourd'hui les (re)lire avec ma petite fille, et même les voir à la télé ! Dernièrement a été rediffusé sur Arte Peau d'âne, version Cocteau, une vrai merveille ! (et ma petite a particulièrement aimé lorsque la marraine chante " mon enfant, on n'épouse pas ses parents..." : dimension didactique du conte ;-))
Cela me fait très plaisir de te rappeler ces souvenirs avec cette heure du conte alors. :) Les contes qui nous accompagnent à tout âge... J'ai l'impression d'en découvrir la richesse à l'occasion de cette quinzaine, de les lire autrement, c'est passionnant.
SupprimerJ'ai raté cette rediffusion de Peau d'Âne, j'attendrai une autre occasion ; en revanche, j'ai enregistré une des dernières adaptations de Blanche-Neige, je suis curieuse de voir ce qu'elle est devenue dans ce film.
C'est intéressant cette dimension moraliste / didactique, je relirais bien ces contes à l'occasion. Il me revient aussi avoir lu je ne sais plus où que ces contes voyagent beaucoup. Il parait donc difficile de retrouver leurs origines ou le conte originel... Cendrillon, par ex, a sa version vietnamienne (in Mille ans de littérature vietnamienne, chez Picquier poche)...
RépondreSupprimerCa doit être intéressant de comparer ces différentes versions d'un même motif à travers les contes du monde et quelle "morale" y est associée. Marilyne en a parlé dans son article sur les contes peuls par exemple.
SupprimerJe l'ai lu mi-décembre mais sous un autre titre donc je pensais que "Contes de ma mère l'Oye" contenait d'autres contes. En tout cas c'était un délice de lectures, personnellement les moralités ne me gênent pas et je trouve cela même plutôt amusant. Comme tu le dis je suis étonnée par le conte de la belle au bois dormant que je ne connaissais pas du tout. Je ne savais pas qu'on avait la suite après son mariage, l'histoire avec sa belle-mère (brrr) et le prénom de sa fille qui, elle, est bien Aurore. ça fait du bien de relire les grandes oeuvres !
RépondreSupprimerAs-tu aussi lu les contes en vers ? Les contes de ma mère l'oye sont un autre titre des "Histoires ou contes du temps passé", l'un des titres apparaissait sur la quatrième de couverture et l'autre sur la première, il me semble.
SupprimerC'était une relecture pour moi, donc j'ai eu moins de surprise, mais ai beaucoup apprécié retrouver ces contes (le plaisir des grandes œuvres, comme tu le dis).
Un incontournable à lire à n'importe quel âge ! ! ;)
RépondreSupprimerhttps://www.instagram.com/lesbooksdalittle/