DANS CE RECUEIL POÉTIQUE, Verlaine recrée tout l’univers de
Watteau : le ciel si pâle et les
arbres si grêles / [semblant] sourire
à nos costumes clairs [A la promenade], les
éclairs soudains de nuques blanches [Les ingénus], cette heure dont la fuite / tournoie au son des tambourins [Le
faune], les molles ombres bleues ou
encore la lune rose et grise [Mandoline].
Se croisent au détour des allées ombragées et sous la lune musiciens,
comédiens, mondains, fantoches, masques
et bergamasques [Clair de lune], jeunes fous et belles. La galanterie le
dispute à la fête, la fausse sévérité à la
moue assez clémente de la bouche [A la promenade], tandis que la mélancolie
romantique n’est pas loin. Il me semble que c’est surtout cette dernière qui
est généralement retenue, peut-être parce qu’elle encadre le recueil avec le Clair de lune en ouverture et le Colloque sentimental en final.
Pourtant, Verlaine n’en présente pas moins d’autres figures
joyeuses ou rêveuses sans amertume [L’allée ; Les ingénus]. Les propos
galants semblent parfois sincères [En sourdine ; A Clymène], si l’exagération
ne venait en rappeler l’aspect ludique dans ces sociétés [Dans la grotte ;
Lettre]. La présence abondante des comédiens du théâtre italien (Colombine,
Pierrot et Arlequin sont en effet de la partie) rappelle également la facticité
des conversations mondaines [Sur l’herbe].
De son écriture si délicieusement musicale, Verlaine
reconstitue donc sous les yeux du lecteur attentif tout un monde plus complexe
qu’il n’y paraît, suscitant diverses sensations : admiration, nostalgie,
mais aussi moquerie désabusée face à tant de vacuité. Rien ne paraît réel dans
ces décors fantasmagoriques, où jouent des personnages aux noms si typés qu’on
les croit d’emprunt ; à l’instar de la peinture de Watteau, une douce
brume entoure la poésie de Verlaine, rendant ses contours flous et sa charge
onirique plus forte.
Les donneurs de
sérénades
Et les belles
écouteuses
Échangent des propos
fades
Sous les ramures
chanteuses.
C’est Tircis et c’est
Aminte,
Et c’est l’éternel
Clitandre,
Et c’est Damis qui
pour mainte
Cruelle fait maint
vers tendre.
Leurs courtes vestes
de soie,
Leurs longues robes à
queues,
Leur élégance, leur
joie
Et leurs molles ombres
bleues
Tourbillonnent dans l’extase
D’une lune rose et
grise,
Et la mandoline jase
Parmi les frissons de
brise.
[Mandoline]
Fêtes galantes de Paul Verlaine, édité par Jacques Borel
Fêtes galantes, Romances sans paroles, précédé de Poèmes saturniens, édité par Jacques
Borel, Gallimard (Paris), coll. Poésie, 1973
1re publication : 1869
Je l'ai relu récemment, j'ai aimé son charme mélancolique. J'en ai profité pour aller voir l'expo "fêtes galantes" au musée jacquemart, très belle expo !
RépondreSupprimerJ'ai fait le chemin inverse : j'ai visité (et apprécié moi aussi) l'expo, puis relu le recueil de Verlaine, où j'ai aimé ne pas trouver que la mélancolie à laquelle je m'attendais. J'en retiens surtout les tableaux de Watteau qui ont resurgi et la musicalité de Verlaine.
SupprimerJe l'ai lu mais il y a longtemps et la poésie n'est pas mon genre favori. Il faudrait que je le relise pour voir !
RépondreSupprimerLis-le quand l'envie s'en fera sentir ! Je crois que je ne l'avais pas autant apprécié lors de la première lecture que cette fois-ci : le moment s'y prêtait bien pour ce recueil-ci, et je suis très sensible à la poésie de Verlaine.
SupprimerJ'aime beaucoup Verlaine même si je reste une éternelle amoureuse des mots de Baudelaire et Rimbaud.
RépondreSupprimerJ'adore lire leurs poèmes à mes trolls, pour le plaisir égoïste de les lire à haute voix.
Je reste quant à moi une éternelle amoureuse de la poésie de Verlaine, en particulier de ces Fêtes galantes en ce moment. Baudelaire et Rimbaud me touchent moins, en tout cas lors de leur première lecture.
SupprimerQuelques-uns de tes trolls profitent peut-être eux aussi de ces lectures à haute voix, j'ai été assez marquée par Le dormeur du val découvert lors d'un cours de poésie. ;)
Quelle élégante nonchalance dans ce poème... assortie de mélancolie...
RépondreSupprimerTu as énoncé toutes les raisons pour lesquelles je l'aime tant ; mon préféré de Verlaine en ce moment.
Supprimer