Mon ami, tu ne verras ici que les scènes les plus licencieuses, les tableaux du libertinage le plus effréné, et mon style sera tel qu’il convient pour peindre une Messaline qui laisse loin derrière elle les courtisanes les plus débordées. [p. 143]
LA MESSALINE FRANÇAISE,
publié anonymement en 1789, s’inscrit dans le courant des pamphlets licencieux
dirigés contre les excès de l’aristocratie, en particulier à travers la figure
de Marie Antoinette et de sa Cour, qui cristallisent de nombreuses rancœurs. L’érotisme,
associé à la débauche, est critiqué et politisé : utilisé à des fins de
dénonciation, il perd son aspect ludique ou sentimental, au profit d’une notion
de plaisir méprisable.
Je t’esquisserai aussi quelques tableaux voluptueux et lascifs des secrets plaisirs de deux autres femmes de la Cour, non moins connues que la fameuse duchesse dont il s’agit, et ces tableaux te satisferont d’autant plus que celles qui en fournissent les sujets sont faites pour exciter l’attention générale. [p. 143]
La politisation du récit n’intervient que dans les dernières
pages de La Messaline française,
comme une justification et une protection contre la censure. Avant d’en arriver
là, l’intrigue se déroule selon les codes classiques du roman libertin :
un jeune homme inexpérimenté qui entre dans le monde, y reçoit son initiation,
puis délaisse sa première maîtresse pour les charmes d’une autre, au détour d’un
bosquet. Celle-ci entretient un certain mystère autour de son identité, qui ne
sera jamais révélée : le lecteur devine qu’il s’agit de la Reine, mais n’en
reçoit jamais la confirmation. Contrairement à la duchesse de Polignac, décrite
comme une insatiable débauchée, une femme méprisable, inconstante et
irrespectueuse, Marie Antoinette (ou celle que l’on identifie comme telle) a un
assez beau rôle dans cette nouvelle et conserve l’estime du narrateur. Dépouillée
de sa fonction royale, elle apparaît comme une jeune femme désireuse de s’amuser
et de profiter elle aussi des jeux de séduction de l’époque.
Tandis que l’une est humanisée, l’autre n’en est pas moins
diabolisée. Par ce contraste, la nouvelle témoigne de l’ambivalence du genre
libertin vis-à-vis des femmes, entre féminisme et misogynie. La femme est l’un
des grands mystères de cette époque : on s’interroge à son sujet, cherche
à la comprendre, tout en étant effrayé par son altérité, ce mystère qu’elle
conserve. Fascinante, la femme n’a pas fini de susciter l’admiration, notamment
érotique, et la politique de la Révolution n’y change rien…
Une délicieuse nouvelle érotique, dans les jardins d’Ancien
Régime.
La Messaline française, édité par Stéphanie Genand
Curiosités et anonymes,
édité par Stéphanie Genand, Éditions Garnier et Société éditrice du Monde
(Paris), collection Les grands classiques de la littérature libertine, 2010
1re publication : 1789
Décidément, j'aime beaucoup l'éclairage que tu apportes sur le regard ambivalent à l'égard des femmes. Je vois certains éléments d'une toute autre manière ou du moins, d'une manière enrichie du coup :)
RépondreSupprimerTant mieux ; si mes articles libertins intéressent au moins une personne et surtout te font percevoir d'autres textes de façon enrichie, j'en suis ravie, ils ne sont pas tout à fait inutiles.
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