TANDIS QUE Colette Nys-Mazure écrit des nouvelles toutes en
douceur dans Sans y toucher, Isabelle
Baldacchino fait au contraire preuve d’un style incisif et direct, qui se
rapproche par sa noirceur de celui d’Emmanuelle Urien. Les sujets choisis, puisés
dans l’observation des gens autour de soi et de leurs histoires, sont en effet
teintés d’amertume, de rancœur et de jalousie, ainsi que d’autres sentiments peu
altruistes, qui rendent les personnages terriblement humains. Pour cette raison
sans doute, l’indulgence reste présente par le biais de la tendresse dans les
nouvelles familiales et d’appels au vécu du lecteur dans d’autres textes.
Celui-ci est également sollicité par le style assez oral de l’auteure, qui
correspond bien au choix narratif de la première personne du singulier et à l’introspection
des personnages.
Outre cette indulgence, une autre distance est prise
vis-à-vis de la noirceur des nouvelles, grâce à l’humour féroce d’Isabelle
Baldacchino et à son autodérision, en particulier dans la dernière nouvelle, Entremêlés. Si l’ensemble des
personnages s’y rejoignent sous le regard de la narratrice, l’auteure semble
surtout apparaître elle aussi de façon plus ou moins déguisée, aussi bien sous
les traits du personnage-auteur que de la narratrice si observatrice. Ce
procédé de mise en abyme est utilisé à plusieurs reprises dans le recueil, à
bon escient et de façon à interroger l’art de la nouvelle. Les attentes du
lecteur sont par exemple habilement détournées et raillées dans L’attente « où l’histoire n’a pas
de chute » et dans À cet enfant que
je n’aurai jamais, notamment :
Dès le titre, la nouvelle annonce la couleur. Ouh là là, l’auteur, sans doute un homme, va tenter de cerner les sinuosités mélancoliques d’une femme-jachère en manque de maternité ! Et que je t’ai toujours désiré, et que j’ai raté ma vie sans toi, et que j’ai trouvé le père idéal, et que mon ventre est toujours resté vide, comme ma vie, un grand vide à combler, et gnagnagna et ouin ouin ouin. Je vomis déjà. [p. 15]
Des nouvelles féroces qui ne manquent pas d’(auto)dérision.
Le manège des amertumes d’Isabelle Baldacchino
Quadrature (Louvain-la-Neuve), 2013 – 1re
publication
* A la découverte de Quadrature *
Le style doit être surprenant ainsi que l'angle choisi par l'auteure! Mais finalement, ce n'est pas si éloigné de la réalité : je reste persuadée que les gens ont toujours au fond d'eux de la jalousie, de la mesquinerie, lors de leurs rencontres. (sauf exceptions bien sûr :D). L'être humain peut être si "mauvais". Du coup, lire des nouvelles sous cet angle doit être intéressant!
RépondreSupprimerJe n'ai pas vraiment été surprise par le style, ni par l'angle choisi (bien que j'aie pris la première nouvelle comme une gifle : après la douceur de Colette Nys-Mazure, c'était un contraste encore plus important), parce que j'ai déjà lu d'autres recueils dans cette veine sombre, mais c'est intéressant (et plaisant, pour moi en tout cas). Ca m'intéresserait d'avoir ton avis à ce sujet, d'ailleurs.
SupprimerJe me doute du contraste! Cette veine sombre pourrait bien correspondre à mon état d'esprit à certains moments :) "Tout le monde, il est beau", on en a marre parfois! Un peu de réalisme fait du bien.
SupprimerCa me donne (presque) des envies de relecture !!
RépondreSupprimerPourquoi ce "presque" intempestif ? ;)
SupprimerAh, du noir, de l'humour féroce, me tente plus que la douceur. Mais ne devrais-je pas plutôt lire Emmanuelle Urien que je n'ai toujours pas découverte ?
RépondreSupprimerJe te conseillerais les deux, mais pas de façon trop rapprochée, pour ne pas diminuer l'impact des nouvelles d'Isabelle Baldacchino. Pour utiliser une comparaison qui devrait t'inspirer, les nouvelles d'Emmanuelle Urien seraient du chocolat noir pur et celles d'Isabelle Baldacchino du chocolat noir fourré au praliné ; à toi de voir avec lesquelles tu préfères commencer (en sachant que je peux te prêter Emmanuelle Urien ;))
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