POURQUOI une réécriture si fidèle d’une partie de l’Iliade ? pourrait-on se demander
en débutant ce roman de David Malouf. Sans doute parce que chaque époque a sa
sensibilité, notamment littéraire, et que la nôtre semble être à
l’humanisation. Loin d’héroïser les personnages homériques, l’auteur les
rapproche de nous en révélant leurs failles ou en comblant certains
« trous » de l’histoire, auparavant astucieusement élidés par l’action
divine. Cela débute avec Achille, devenu fou suite à son chagrin, à son
incapacité à faire le deuil de Patrocle, et non par la volonté des dieux. Bien
qu’une certaine solennité soit conservée, l’écriture se veut introspective et
met en avant des sentiments très humains : la souffrance face à la mort d’un
proche, les souvenirs qui surgissent et la soif de vengeance.
Il était entré dans le monde rude des hommes où, sous forme d’histoire, ses actes suivent un homme partout où il va. Un monde de douleur, de perte, de dépendance, d’accès d’exaltation et de violence ; un monde de fatalité et de contradictions extrêmes, de sauts vertigineux dans l’inconnu ; un monde, enfin, de mort – mort d’un héros, là-bas au grand soleil sous le regard des dieux et des hommes, pour laquelle l’être endurci, le corps aguerri avaient tous les jours à s’exercer et à se préparer. [p. 12]
Le récit se centre ensuite sur Priam, hanté par son passé d’enfant
« racheté », déchiré entre le respect de sa fonction royale et sa
souffrance de père face au sort réservé à Hector, qui l’amènera à réaliser « ce
que n’importe quel homme ferait. » [p. 60] Cette scène de la rançon
en échange d’un corps à inhumer dans les traditions permet à David Malouf de
pousser plus loin encore l’humanisation de son personnage durant le voyage
jusqu’au camp grec. Initié aux plaisirs simples de l’existence (écouter le
chant des oiseaux, se rafraichir dans un ruisseau en sentant la caresse des
poissons curieux, déguster une galette en pensant à celle qui l’a préparée ;
un recours aux cinq sens qui rappelle le procédé à l’œuvre dans Pietra Viva de Léonor de Récondo, une
autre histoire de deuil) par l’humble cocher qui l’accompagne, Priam se fait et
se découvre homme. Le style de David Malouf suit cette évolution et se fait
plus familier au fur et à mesure du voyage, tout en conservant son lyrisme.
Les dieux ne sont toutefois pas tout à fait absents de cette
réécriture et interviennent avec plus ou moins de finesse. Cette
caractéristique n’est bien sûr pas celle d’Hermès, dont l’arrivée impertinente
m’a paru un peu brutale et artificielle, par comparaison avec la perception
intérieure d’Achille et les visions oniriques de Priam. Le mythe garde la
prééminence sur l’interprétation moderne qui en est faite et qui met en
évidence son actualité : sont en effet soulevées de nombreuses questions
sur la mort, le deuil, les rôles sociaux et leurs codes, la guerre, la transformation
des histoires et la formation des mythes, entres autres.
Une réécriture pour dire l’intemporalité d’une œuvre.
Une rançon de David Malouf, traduit de l’anglais par Nadine
Gassie
Albin Michel (Paris), 2013 – 1re traduction
française
Je suis fan de mythologie, et une réécriture telle que tu en parles ne me déplairait pas (je double peut-être mon com, mais il me semble que le 1er n'a pas été enregistré)
RépondreSupprimerC'est une réécriture très réussie, qui a beaucoup plu à Anne, elle aussi fan de mythologie (je connaissais un peu moins cet épisode et me suis fiée aux notes de l'auteur quant à la fidélité)
Supprimer(Tu as bien fait de renvoyer ton commentaire, pas de trace du premier...)
Martine serait-elle intéressée par un prêt ? Merci de cette lecture et de ce billet qui me fait percevoir d'autres finesses du livre !
RépondreSupprimerMerci encore à toi pour ce prêt, je suis vraiment contente de t'y avoir fait découvrir d'autres finesses (je ne doute pas que ce sera mon tour demain ;))
SupprimerMerci Anne de ta proposition ! Mais les prêts et moi ne faisons pas bon ménage (j'ai d'ailleurs un livre qui t'appartient dans ma bibliothèque), soit parce que je ne lis pas l'ouvrage tout de suite et qu'il prend place dans une pile déjà haute, soit parce qu'il me plaît tant que j'ai envie de me l'accaparer...
SupprimerMieux tard que jamais... La lecture de Anne m'a rendu curieuse ( effectivement par goût de la mythologie et de son interprétation ), ce que tu ajoutes à propos des thèmes, le deuil et ce chemin inverse, la formation des mythes confirme mon intérêt même si ce ne sera pas dans l'immédiat ( parce que j'ai une histoire d'amour et un roman des éditions Luce Wilquin qui m'attendent depuis trop longtemps. Merci de ta patience )
RépondreSupprimerJe suis contente de confirmer ton intérêt par ma lecture et pense qu'il pourrait effectivement te plaire.
Supprimer(J'attends pour l'histoire d'amour et le roman des éditions Luce Wilquin, ne t'en fais pas pour ça : je sais que le livre est entre de bonnes mains, et les autres l'ont certainement oublié depuis que j'en ai parlé)