Voici mon très cher
ouvrage,
Tout ce qui
t’arrivera :
Tu ne vaux rien, c’est
dommage ;
N’importe, on
t’achètera.
Plus d’une femme
t’aura,
Jusqu’au bout avec
courage,
Lira :
La plus catin (c’est
l’usage),
Au feu te
condamnera ;
Mais la plus sage…
Rira.
[p. 1065]
CONTRAIREMENT à de nombreux romans du libertinage mondain,
celui d’Andrea de Nerciat s’inscrit dans un libertinage littéraire plutôt
joyeux, bien loin du pessimisme et des dénonciations déguisées. Félicia est
légère, rieuse, volage et ne s’en inquiète nullement, pas plus que de convertir
à son mode de vie. L’écriture même de ses mémoires n’est pour elle qu’un
agréable divertissement, dans la continuité de ses « fredaines ». Cette
conception de l’écriture semble partagée par l’auteur, qui joue abondamment avec
les codes du roman libertin, comme dans le passage suivant :
Les romans ont coutume de débuter par les portraits de leurs héros. Comme, malgré la sincérité avec laquelle je me propose d’écrire, ceci ne laissera pas d’avoir l’air d’un roman, je me conforme à l’usage et vais donner aux lecteurs une idée de ma personne. [p. 1069]
Cette ironie à l’égard des traditions romanesques se
manifeste également au début des différentes parties de l’ouvrage, dans un
chapitre-préface dialogué : Félicia y discute avec l’un de ses amants du
texte que le lecteur vient de lire, en le défendant des attaques du second.
Celui-ci juge notamment le récit trop métaphorisé et trop peu conforme aux
goûts du public, qui attend un peu plus de défense et de retenue d’une jeune
femme.
Outre ces références littéraires, l’intertextualité
participe elle aussi au plaisir suscité par cette lecture. Le mystère plane
tout au long du roman sur les origines de Félicia, qui n’est pas sans rappeler
de ce point de vue une certaine Marianne, avant que tout ne se résolve dans un
imbroglio familial digne d’une des nouvelles sadiennes (le tragique en moins). L’inévitable
abbé du récit rappelle la cohorte de religieux qui l’a précédé dans la
littérature du siècle, de même que le jeune novice, digne héritier de Meilcour
et, d’une certaine façon, de la religieuse de Diderot. Si ces allusions plus ou
moins transparentes amusent le lecteur averti, elles peuvent malheureusement
aussi lui laisser une impression peu agréable de redite et d’ennui face à tant
d’épisodes rabâchés.
Un roman du libertinage mondain embourgeoisé et joyeux.
Félicia ou Mes fredaines
d’André-Robert Andréa de Nerciat
Romans libertins du
XVIIIe siècle, Raymond Trousson (éd.), Robert Laffont (Paris), coll.
Bouquins, 2001, p. 1049-1288.
1re publication : 1775
* LC avec Marie *
J'aime lorsque le libertinage est joyeux et je m'étais bien divertie à la lecture de Félicia. J'ai d'ailleurs acheté suite à cette lecture plusieurs ouvrages de Nerciat !
RépondreSupprimerQuels autres ouvrages de lui conseillerais-tu ? Je ne me souviens pas du tout de mes impressions lors de ma première lecture, mais cette relecture fut vraiment fastidieuse. Je préfère le libertinage aristocratique plus sombre et surtout l'ironie à la grivoiserie.
SupprimerOuf! On en est sorties! Les références m'ont manqué pour voir l'intertextualité, mais je ne sais pas si la lecture aurait été moins fastifieuse pour autant.
RépondreSupprimerJe suis intéressée aussi par les conseils de Bianca.
Ouf, oui! Si l'intertextualité m'a amusée, ça n'a pas duré longtemps. J'ai eu du mal à partager l'humour et l'amusement de l'auteur...
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