Une larme dans l'objectif | Florence Heiniger

CE RECUEIL de nouvelles pourrait constituer un pendant féminin de Confession des genres d’Emmanuelle Favier, publié un an plus tard : dans chacun de ces deux ouvrages, la violence et l’incompréhension de l’autre semblent régner. Chez Florence Heiniger, cette violence se manifeste notamment par la guerre en arrière-plan. Qu’il s’agisse des conflits qui font rage à Jérusalem, d’autres non identifiés dans un monde réaliste (La mère et les faucons ; Une larme dans l’objectif) ou fantastique (Femmes palmées), les femmes en souffrent, bien qu’éloignées des zones des combats où périssent les fils.
La vieille mère s’en allait sur le chemin, battue dans les jambes par un sac de jute. À la même heure, tous les soirs, elle prenait sa peine avec elle, remontait la poussière et l’ocre de la falaise. Personne pour témoin. Elle redessinait mentalement le contour de son visage, les yeux piqués par le vent sablé. Tous les jours retrouver, dans une marche pour rien, l’ourlet d’une lèvre, l’ombre de cils et faire l’effort de recomposer ce qui fait mal et ce qui fait du bien, pour rien. [La mère et les faucons, p. 33]
D’autres nouvelles abordent une violence plus privée, restreinte au cercle familial ou professionnel (Les glaçons de la baby-sitter ; Loup de dentelle ; La déesse des insurgés) et la révolte des femmes face au pouvoir masculin. Celle-ci peut prendre la forme d’une riposte cruelle ou d’un refuge dans l’imaginaire et le monde animal. Très présents dans les titres, les animaux accompagnent les femmes de ces nouvelles comme des gardiens, des protecteurs ou des compagnons capables de les comprendre, contrairement aux hommes.

Pour dire cette violence et ces souffrances féminines, l’auteure a déployé une écriture très forte, tout en images, entre fantastique et métaphores. Cela peut paraître déstabilisant au premier abord, mais renforce le propos et marque d’autant plus le lecteur. Tandis que d’autres auteurs utilisent un style imagé pour atténuer ou enjoliver les faits, ils sont ici soulignés et avivés de façon à atteindre directement leur cible.
Pourquoi, dans les récits de chair, la femme ne révèle-t-elle pas son cinémascope ? Elle, elle cherche toujours à retenir ces images obscures, comparses des premières merveilles du cinéma quand les frères Lumière bricolaient leur lentille. Sa petite lentille se déboussole, crache ses images dans la voûte de son être et ne veut pas des mots d’homme pour leur donner traits. [Une grossesse océanique, s’il vous plaît !, p. 58]

Des nouvelles imagées et percutantes.

Une larme dans l'objectif - Florence Heiniger

Une larme dans l’objectif de Florence Heiniger

Luce Wilquin (Avin), collection Euphémie, 2011 – 1re publication

* Littérature francophone : Suisse *

6 commentaires:

  1. Un thème difficile mais le format de la nouvelle est sans doute le mieux adapté pour en parler.

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    1. Sans doute, oui... C'est l'un des rares genres dans lequel je lis ce thème, qui me touche plus que je ne veux bien l'admettre.

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  2. Je n'avais pas compris que ce sont des nouvelles ! Cachées derrière une belle couverture, une fois de plus.

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    1. Je me suis rendu compte après coup qu'à part Etiemble, je n'ai acheté que des nouvelles à Mons. ;) En plus d'être belle, la couverture est pleine de références aux nouvelles, elle est encore plus fascinante à observer après la lecture.

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  3. Réponses
    1. J'espère que tu pourras bientôt le cocher comme "lu et apprécié" ;)

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