Il faut écrire ce qu’on ignore. Au fond, le 14 juillet, on ignore ce qui se produisit. Les récits que nous en avons sont empesés ou lacunaires. C’est depuis la foule sans nom qu’il faut envisager les choses. Et l’on doit raconter ce qui n’est pas écrit. Il faut le supputer du nombre, de ce qu’on sait de la taverne et du trimard, des fonds de poche et du patois des choses, liards froissés, croûtons de pain. Le plancher bâille. On aperçoit le très grand nombre muet, masse aphasique. Ils sont là, à la Bastille, il y a de plus en plus de monde dans les rues, tout autour. [p. 83]
ÉRIC VUILLARD LIVRE AVEC 14 JUILLET un passionnant récit de cette journée de 1789. Il débute avec les premières émeutes parisiennes, le saccage de la Folie Titon, manufacture de papier peint de Jean-Baptiste Réveillon, plaçant ainsi le contexte : les deux mondes hermétiques que constituaient Versailles et le Paris populaire, la famine qui sévissait et les meilleurs produits acheminés au palais, la banqueroute de la France ; les états généraux enfin ouverts, mais décevants, sinon une mascarade.
Il en vient ensuite à la journée même du 14 juillet, de ses premières à ses dernières heures. Les grands noms s’effacent alors, laissant place à la foule, au peuple, à quelques noms surgis des archives, qui n’ont pas les honneurs des livres d’Histoire ; héros de quelques minutes ou heures, figures surgissant de la masse avant de s’y fondre à nouveau ou d’être abattus. Éric Vuillard m’a véritablement entraînée dans cette foule, au cœur de cet évènement historique mené par le peuple. Les bourgeois n’y trouvent pas leur place – ou y sont fortement bousculés –, ils ne (re)font leur apparition que le lendemain, préfigurant la récupération de la Révolution que l’on sait.
Ah ! nous ne pourrons jamais savoir, nous ne saurons jamais quelle flambée parcourut les cœurs, quelle joie ; nous pourrons peut-être brûler du même feu, mais pas le même jour, pas la même heure, nous pourrons bien interroger minutieusement les mémoires, parcourir tous les témoignages, lire les récits, les journaux, éplucher les procès-verbaux, on ne trouvera rien. La véritable pierre de Rosette, celle qui permettrait d’être partout chez soi dans le temps, nous ne l’avons jamais trouvée. La vérité passe à travers nos mots, comme le signe de nos secrets. [pp. 64-65]
Le génie de l’auteur est selon moi, d’une part, d’avoir su évoquer ce que l’on sait de la Révolution sans forcément le décrire. D’autre part, la focalisation sur « ce qui n’est pas écrit », sur ce mouvement populaire qui a abouti à la prise de la Bastille est une réussite ; en s’éloignant des « grandes lignes », il me semble avoir approché au plus près la Révolution. Et avec quelle écriture ! Éric Vuillard a indéniablement le sens de la formule, au point de me donner envie de noter presque tous les passages : chacun d’eux est si évocateur et parlant, tant indépendamment qu’en lien avec les autres. Cela donne le sentiment d’un récit très « ramassé », ramené à l’essentiel, sans nulle trace de superflu, et d’une très grande force.
Un récit que je relirai.
14 juillet d’Éric Vuillard
Actes Sud (Arles), coll. Un endroit où aller, 2016 – 1re publication
Actes Sud (Arles), coll. Un endroit où aller, 2016 – 1re publication
voilà déjà la rentrée, avec de très beaux textes, et des livres que je vais me sentir obligée de noter ;)
RépondreSupprimerC'est terrible, n'est-ce pas ? ;) Celui-ci vaut vraiment la peine d'être noté.
SupprimerMoi aussi j'avais déjà repéré ce roman ! Et il me séduit aussi ;-)
RépondreSupprimerIl est aussi séduisant qu'il est tentant, il tient ses promesses.
SupprimerJe note surtout qu'l serait plus que temps de lire les Eric Vuillard qui traînent honteusement dans ma PAL !!!
RépondreSupprimerLesquels as-tu en stock ? Je compte lire Tristesse de la terre ensuite.
SupprimerJ'avais lu le précédent, et là... je sens que je le lirai, au détour de la bibli.
RépondreSupprimerHier j'ai vu Del amo en salon (voui) mais n'ai pas osé aller papoter avec lui, je suis une grande timide?
Il en vaut la peine ! Je compte enchaîner avec son précédent à mon tour.
SupprimerChanceuse pour Del Amo... Même si je serai trop timide pour aller le voir.
Et bien moi je passe, car je ne m'en sort plus ;-)
RépondreSupprimerDommage, mais il faut bien faire des choix (et renoncer).
SupprimerJ'ai pensé à toi en recevant mon Matricule des anges ce soir qui consacre sa Une et une bonne interview à Eric Vuillard ! (ainsi qu'un très bel article à Del Amo !). J'ai beau trouvé la couverture de "14 juillet" hideuse, je suis de plus en plus tentée de le lire !
RépondreSupprimerAaaah merci pour l'information ! J'irai voir si je le trouve en kiosque ou librairie.
SupprimerL'avantage des nouveaux Actes Sud, c'est qu'on peut retirer la jaquette si elle ne nous plait pas. ;) Je suis curieuse de tes impressions sur l'auteur (ce titre ou un autre).
Je ne me sens pas spécialement attirée par ce titre mais tu parviens à me donner tout de même envie d'y jeter un oeil...
RépondreSupprimerC'est déjà ça ; qu'a-t-il donné ce coup d'oeil ?
RépondreSupprimerJ'ai lu ''Tristesse de la terre'' que je n'ai pas encore chroniqué!! (mea culpa) . Je compte bien lire celui-ci.
RépondreSupprimerMalgré mon "projet", je n'ai toujours pas lu Tristesse de la terre... Je te conseille celui-ci en retour, en attendant ton article. ;)
SupprimerJe le vois partout en ce moment ! Le sujet ne me tente pas trop mais je vais peut-être finir par craquer avec tous ces avis dithyrambiques.
RépondreSupprimerAlors, as-tu craqué depuis ton commentaire ?
SupprimerPlus de Mina depuis quelques mois... Snif :-( Bientôt de retour ?
RépondreSupprimerBonsoir Goran et désolée pour cette réponse tardive. Comme tu as pu le constater, j'ai quelque peu déserté mon Salon et ne compte pas y revenir dans l'immédiat. J'attends que l'envie s'en fasse sentir.
SupprimerJe comprends, et j’espère que l’envie te reviendra rapidement… Bon courage. (Goran : http://deslivresetdesfilms.com)
RépondreSupprimerRapidement, on ne peut pas dire que ce soit gagné. Peut-être un sursaut avec le mois belge ? Anne l'organise seule cette année (en avril). A bientôt et merci de ton passage.
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