En ce jour de Pâques qui vit la résurrection de Notre-Seigneur, j’ai achevé d’établir ce récit, à partir du journal de Madame de Vaneuse, des lettres dont elle rédigea les projets et de celles qui lui furent envoyées. Nulle phrase, nul mot qui n’appartient ici aux acteurs ou aux témoins des événements qui y sont relatés. [p. 11]
UN JOURNAL ET DES LETTRES rassemblés soixante ans après la mort de la duchesse de Vaneuse, par sa lectrice devenue religieuse ; un manuscrit retrouvé dans une malle une trentaine d’années après la mort de Gustave Amiot… L’histoire de ce roman est aussi romanesque que son incipit, l’imitation du XVIIIe siècle aura été poussée jusqu’au bout. Gustave Amiot (1863-1942) était en effet un spécialiste de la littérature de ce siècle, dont il s’est inspiré pour composer cette Duchesse de Vaneuse, avec beaucoup de réussite.
L’intrigue – on ne peut plus classique, une femme en proie à l’amour contre lequel elle se défend – se présente sous forme d’un journal, dont la visée de publication est d’emblée assumée :
Ces feuilles seront pour un curieux du siècle prochain, à qui leur antiquité les rendra vénérables […] Après tout, si je m’intéresse vivement aux commérages de Bussy ou même aux dépositions d’Omer de Talon, pourquoi une autre duchesse de Vaneuse, en lisant dans cent ans ces notes d’une ennuyée, n’y tromperait-elle pas son ennui pendant quelques heures ? [p. 13]
Dans le même temps, l’écriture demeure intime, adressée à soi-même ou, dans les lettres reproduites, au jeune homme aimé. La narratrice revient à plusieurs reprises sur la raison d’être de ce journal, fluctuante selon ses humeurs, et lui rend ainsi une forme de vraisemblance. Si l’irrégularité temporelle de la rédaction pouvait le justifier, le fond ne le nécessitait quant à lui pas, tant la narration s’écoule naturellement, sans que l’artifice des informations à livrer au lecteur et déjà connue des personnages n’apparaisse. De ce point de vue, j’ai particulièrement apprécié la maîtrise de la technique romanesque par Gustave Amiot, digne héritier des romanciers épistolaires du XVIIIe siècle.
Cette influence littéraire est perceptible et, là encore, parfaitement assumée. De nombreux auteurs des XVIIe et XVIIIe siècles sont cités en tant qu’objets d’admiration ou repoussoirs. La narration par le biais d’un écrit intime et l’insertion de lettres rappelle très clairement les romans épistolaires monodiques et féminins, tels que les Lettres portugaises, les Lettres d’une Péruvienne ou les Lettres galantes de Madame **** pour ne citer que ces deux exemples ; le déroulement même de l’intrigue place la duchesse de Vaneuse dans la lignée de ces épistolières, bien qu’elle cherche à s’en défendre. C’est là, pour moi, que Gustave Amiot se détache de sa source d’inspiration et démontre qu’il n’est pas de ce siècle, qu’il possède un certain recul. La duchesse de Vaneuse ne se veut pas une héroïne de roman, elle repousse le modèle d’Héloïse entre autres ; elle se retrouve dans la situation – là encore on ne peut plus classique – de madame de Lursay (Les égarements du cœur et de l’esprit, Crébillon fils) et refuse d’endosser ce rôle de l’initiatrice. Elle constitue un personnage tout à fait fascinant, complexe et nuancé.
Après tout, mon orgueil trouve son compte à cette brève et déjà lointaine mésaventure. Je reviens de la passion comme un preux de la croisade, avec la ferme résolution de ne pas y retourner. J’ai visité un pays curieux, j’ai rendu de nobles combats, j’ai essuyé des tempêtes intéressantes, je suis à point pour sentir le prix de ma vieille morale épicurienne. Je me suis emparée d’une bonne perspective pour juger du pathétique des tragédies et des subtilités des romans. [p. 59-60]
Comme ses prédécesseuses, la duchesse de Vaneuse analyse le sentiment amoureux, mais plus encore elle-même. Elle fait preuve d’une grande lucidité, tout en se berçant de mensonges à elle-même. Elle possède une grande finesse d’esprit, ne manque pas d’ironie et cède parfois au ton sentimental sans exacerbation. Son évolution est tout à fait passionnante et subtilement narrée. Elle m’a semblé à la fois user des armes dérisoires de la présidente de Tourvel et de la ruse de la marquise de Merteuil (Les Liaisons dangereuses, Choderlos de Laclos), tendant des pièges et s’y laissant prendre à la fois ; son portrait est mobile, extrêmement réussi.
En conclusion, je ne peux que vous recommander ce roman, que vous soyez amateurs du XVIIIe siècle ou, pourquoi pas, pour vous initier à cette part « féminine » de sa littérature.
La Duchesse de Vaneuse de Gustave Amiot
Libretto (Paris), 2016
1re publication (posthume ; José Corti) : 1979
Libretto (Paris), 2016
1re publication (posthume ; José Corti) : 1979
cela m'a l'air fort intéressant et l'auteur m'était totalement inconnu
RépondreSupprimerL'auteur a été éclipsé par Proust, bien qu'il ait été reconnu en son temps avec deux autres romans. Il m'était totalement inconnu aussi.
SupprimerMoi aussi l'auteur m'est totalement inconnu, car je suis amateur du XVIIIe siècle, mais pas que...
RépondreSupprimerMais je suis pas qu'amatrice du 18e non plus, même si j'y reviens souvent. ;) Je crois qu'à part des spécialistes de la littérature du début du 20e siècle (et encore), personne ne connaît cet auteur... Je compte me renseigner pour savoir si ses autres romans sont encore édités et distribués, avec peu d'espoir.
SupprimerTrès belle chronique bien plus réussie que la mienne. Je suis quoiqu'il en soit heureuse que tu aies autant aimé que moi !
RépondreSupprimerMerci ! Ta chronique est intéressante aussi, même si je pars d'autres références (et suis particulièrement pointilleuse sur le style épistolaire ou, ici, du journal).
SupprimerJe te sens tout à fait séduite, charmée et c'est chouette !
RépondreSupprimerTu as tout à fait raison, je suis sous le charme (tant intellectuellement qu'affectivement, j'ai aimé la sensibilité de la narratrice et comparer le roman à d'autres).
SupprimerLe nom de cet écrivain me dit quelque chose, mais je n'ai jamais rien lu de lui - le sujet m'intéresse.
RépondreSupprimerPeut-être l'as-tu croisé dans tes lectures proustiennes, une préface peut-être ? Ils sont de la même époque.
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