Bruxelles noir | Michel Dufranne (dir.)

Cette année encore, à l'occasion du mois belge, je souhaite ouvrir l'horizon du Salon, avec des œuvres que je n'aurais pas lues moi-même, présentées par des invitées non blogueuses. C'est Marilyne, ancienne blogueuse sur Lire & Merveilles et habituée des invitations du Salon, qui ouvre le bal pour le rendez-vous des nouvelles. Elle nous entraîne dans la ville de Bruxelles, sous l'angle du noir.
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DANS CE RECUEIL DE NOUVELLES INÉDITES, Michel Dufranne (scénariste BD, critique littéraire spécialiste « mauvais genre » pour la RTBF) nous lâche dans les rues de sa ville en compagnie de treize auteurs qui nous attendent chacun dans un quartier.
Ces auteurs signent des nouvelles incisives, éclairant les ombres de Bruxelles, déclinent la noirceur de leur plume en évoquant les lieux, leurs historiques et leur vie, diurne, nocturne, des monuments aux places, des quartiers bourgeois aux quartiers populaires. On y croise des personnages du folklore belge en langue brusseleir dans une nouvelle onirique qui m’a un peu perdue entre deux bières (L’Autre Guerre de la MarolleSara Doke – Les Marolles) ; où l’on relit l’histoire noire de la Belgique lorsque les récits s’inspirent de faits réels. Le recueil décline son camaïeu de noir en variété de genres et de style, du juridique, du royal, du récit social aux thèmes d’actualité jusqu’à la dystopie sur l’institution européenne (DédalesKatia Lanero Zamora – Matongué – prenante !) et le fantastique. C’est ainsi un noir-jaune-rouge qui raconte Bruxelles capitale de la Belgique, Bruxelles capitale européenne, Bruxelles siège de l’Union européenne.

Comme tout recueil de nouvelles, d’autant plus quand on y rencontre autant d’auteurs au détour des pages, chaque nouvelle ne présente pas le même intérêt pour chaque lecteur. J’ai majoritairement apprécié ces nouvelles, plusieurs d’entre elles me resteront, l’une par sa fantaisie (L’ApiculteurJean-Luc Cornette – Woluwe Saint-Lambert), l’autre parce qu’elle m’a secouée et laissée pensive (RituelKenan Görgün – Abattoirs d’Anderlecht – déchirante tant par la force de l’écriture, la tension, que son sujet), la troisième pour l’ironie (Le Tueur en pantouflesNadine Monfils – Place du Jeu de Balle), la quatrième pour la répulsion et l’amertume que j’ai ressenties, une histoire de préjugés sociaux, de quartier-ghetto «  protégé » (La PerrucheBarbara Abel – Saint-Gilles)
J’y ai également lu ou relu Ayerdhal, Émilie de Béco, Paul Colize, Patrick Delperdange, Edgar Kosma, Alfredo Noriaga, Bob Van Laerhoven.

Léa descend dans les galeries pour prendre le métro ligne 2.
Elle sort son passeport et son permis de travail, puis se place dans la queue du guichet des navetteurs en provenance de la Région wallonne. De l’autre côté d’une vitre, les navetteurs flamands se soumettent à la même inspection douanière. Comme chaque matin, l’agent prend le passeport de Léa, inspecte son permis de travail, y appose un cachet avec la date, et lui dit, encore moins cordialement qu’il n’y paraît :
- Bienvenue à la capitale européenne.
Léa récupère ses papiers et descend en courant les escaliers mécaniques aux rouages fatigués jusqu’au quai du métro. Quarante secondes d’attente sont annoncées. Léa s’arrête à côté d’une rangée de trois sièges de plastique orange. Les travailleurs en attente trépignent, les yeux allant de leur montre aux panneaux d’affichage. C’est un réflexe, comme jeter un coup d’œil au rétroviseur pour surveiller la route. 8H30. 9 heures et 30 minutes avant le prochain black-out. Elle est en retard. […]
Léa est coincée contre un Flamand aux airs bureaucratiques qui lit les nouvelles sur sa tablette. Il lui reste des bribes de néerlandais. Pas assez pour avoir une conversation spontanée avec ses collègues, mais suffisamment pour comprendre le gros titre de l’article :
Le destin du Quartier Libre de Matongué : un enjeu pour toute l’Europe des Régions.
- Extrait de Dédales – Katia Lanero Zamora -
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Malgré cette vie trépidante, Mimi/Jefke n’était pas totalement heureux. Il lui manquait quelque chose. Dès qu’il tombait sur quelqu’un d’un peu cultivé dans un bistrot, il se sentait largué. Con, quoi !
Ce jour-là, assis au milieu de ses nains de jardin, pour la première fois de sa vie, il se mit à réfléchir. A part
Modes et Travaux auquel sa mère était abonnée, il n’avait jamais lu un seul livre. Fallait qu’il s’y mette, même si sa vieille lui avait toujours dit : Faut pas lire des livres, ça n’amène que des misères. Depuis que le fils d’une de ses amies avait fait des études littéraires et était parti s’installer en Amérique, abandonnant sa pauvre maman, elle avait attrapé une peur bleue des bouquins.
Jefke alla voir Philippe, le bouquiniste de son quartier, L’imaginaire, place du Jeu de Balle, et lui demanda de lui conseiller un livre « qui rend cultivé », avec pas trop de pages et écrit en gros caractères. Philippe lui fila « Ma tante chez les nudistes » d’un certain K. De Mongeot – qu’était pas le frangin à Mylène – estimant que commencer par Duras, c’était trop dur.
- Extrait de Le Tueur en pantoufles – Nadine Monfils -

Bruxelles Noir est l’un des titres de la collection Asphalte Noir. Chaque recueil est « consacré à une ville et l'explore sous l'angle de la littérature noire ». Destinations au choix, sur le site des éditions Asphalte, éditeur de fictions urbaines et cosmopolites. (A paraître en mai Buenos-Aires Noir présenté par Ernesto Mallo…)

Bruxelles noir - Asphalte

Bruxelles noir, recueil présenté par Michel Dufranne

Asphalte (Paris), coll. Asphalte noir, 2015 - 1re publication

* Le mois belge d'Anne et Mina *

6 commentaires:

  1. Les grands esprits se rencontrent. ;)
    J'ai lu le même recueil pour le mois belge. Moi aussi j'ai aimé "L'Apiculteur". Ma préférée.
    Bonne journée.

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  2. Tu confirmes, Marilyne, j'ai envie de lire ce recueil (le billet d'Argali est totalement complémentaire, bien sûr). Ceci dit, je ne suis pas attirée du tout par Nadine Monfils (et ça se confirme aussi avec ton extrait).

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    1. Ce recueil peut passer par la triangulaire et s'installer en Belgique ( il y a une logique ^^ ). C'était très sympa de le présenter avec Argali, deux lectures, chacune d'un côté, alors complémentaires oui :). Je n'avais jamais lu Nadine Monfils, rien noté comme titre les mois belges précédents. J'ai adoré sa nouvelle ;)

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  3. J'ai lu dans cette collection Haïti Noir. Intéressant mais, comme tu l'indiques Marilyne, c'est si divers que tout ne peut pas plaire. Par contre, ce genre d'anthologie me semble pas mal pour repérer des auteurs.

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    1. Je me souviens de ta lecture d'Haïti Noir et je suis bien d'accord pour la lecture découverte. C'était effectivement l'occasion de lire des auteurs belges notés au gré des billets lors des précédents mois belge ( Barbara Abel, Nadine Monfils, Paul Colize que j'ai choisi pour le rdv polar ). Et de bonnes surprises. Et c'est bien pour ça que je suis très tentée par le " Buenos Aires Noir " ;-)

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