Mot compte double | Françoise Guérin

Vents et contrevents, courants impitoyables, rochers acérés comme des dagues… L’océan se brise sur Antoine. Il s’y éreinte, se désagrège sur ses côtes dentelées, de cette dentelle noire dont on fait les voilettes mortuaires… On a connu plus hospitalier mais l’insularité d’Antoine n’est pas là pour faire joli. [Antoine, p. 41]
DANS CES NOUVELLES, majoritairement à la première personne du singulier, Françoise Guérin adapte son style à chaque personnage, avec plus ou moins de familiarité dans le ton, d’hésitations, ou de redondances au fil des pensées, parfois obsédantes. Ainsi, la voix de l’alcoolique en groupe de parole est peu assurée, suit les méandres de ses doutes (Les uns par les autres), tandis que celle de la thérapeute d’Antoine, un enfant autiste, est celle d’une conteuse, tout en images, en accompagnement de son patient et du lecteur. Celui-ci se sent d’autant plus près de ces personnages, de leurs pensées ou souvenirs ; le procédé n’est pas nouveau, mais particulièrement bien maîtrisé par Françoise Guérin, sans tomber dans l’excès ou l’oralité.

La narration est également très bien menée, souvent avec un cheminement progressif vers la chute. Celle-ci se devine parfois, mais n’en a pas moins beaucoup de force par le choix des mots : les faits ne sont jamais réellement exprimés, il reste toujours une part de suggestion, qui amène une prise de conscience du lecteur, bien plus forte qu’une explication claire (Grenadine me laisse un souvenir marquant de ce point de vue). J’ai beaucoup aimé la pointe de noirceur qui surgissait avec certaines finales ou, au contraire, la lueur d’espoir au terme d’une nouvelle plutôt sombre : les teintes étaient justement dosées, juste ce qu’il fallait pour moi d’équilibre entre douceur et cruauté (notamment dans Les nattes). Je nuancerais enfin ces remarques avec une mention spéciale à la nouvelle Tu verras…, lumineuse et émouvante, en hommage au grand-père de l’auteure.

Un recueil entre douceur et cruauté, juste ce qu’il faut.

NOTE | Des nouvelles : après Laeti, c’est Anne qui a lu et apprécié Bref, ils ont besoin d’un orthophoniste ! de Gaëlle Pingault, également publié chez Quadrature.

Mot compte double - Quadrature

Mot compte double de Françoise Guérin

Quadrature (Louvain-la-Neuve), 2007 – 1re publication

* Conseil et prêt d’Anne *

8 commentaires:

  1. Je t'avoue que je n'avais pas de souvenir très précis de ce recueil et que je suis aussi allée relire mon billet ! C'est encore une fois une publication de qualité de Quadrature, on ne peut que s'en réjouir. Je suis contente que tu termines toi aussi sur une jolie note. Merci d'avoir partagé cette semaine de nouvelles !

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    1. J'ai aussi relu ton billet après avoir rédigé le mien, mais j'avais un souvenir très clair qu'il s'agissait d'un coup de cœur pour toi ; éphémère alors ? Merci à toi aussi pour cette semaine de nouvelles, c'était une excellente idée !

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  2. Je te renouvelle mon plaisir de savoir que ces textes aient fait mouche. Je devrais le relire car mon avis d'époque me semble un peu trop marqué par mon manque d'expérience en matière de nouvelles (c'est un des premiers recueils que j'ai lus quand je me suis mise aux nouvelles consciemment - j'en lisais avant mais plutôt par hasard).
    Je te recommande aussi son autre recueil : Un dimanche au bord de l'autre.

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    1. Je me demande si tu l'apprécierais autant maintenant alors. Dans ce domaine, je relirais bien Tous nos petits morceaux d'Emmanuelle Urien, avec un peu plus d'expérience des nouvelles. Je note ton conseil, merci ! Tu l'as lu plus tard, avec plus d'expérience des nouvelles ?

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    2. Oh je pense que je l'aimerais encore mais j'en parlerais sûrement différemment.
      Tous nos petits morceaux : c'est son meilleur recueil à mon avis.
      Oui, j'ai lu Un dimanche... des années plus tard mais peut-être vaut-il mieux ne pas enchaîner. Je vais remettre mon billet sur le blog tout à l'heure. Parfois j'aimerais prendre le temps de relire des recueils de nouvelles. Je ne l'ai fait que pour Maison buissonnière d'Isabelle Minière (billet dispo sur le blog pour la peine).

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    3. Je ne compte pas enchaîner dans l'immédiat, je garde le titre pour une prochaine fois (et j'irai enregistrer ton billet pour avoir le titre sous la main justement).
      Je n'ai aucun doute quant à Tous nos petits morceaux et le plaisir renouvelé que j'aurai à le lire. Je relis peu les nouvelles aussi ; j'ai peu relu l'an dernier d'ailleurs, j'aimerais le faire plus cette année.

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  3. Tu me rappelles ce titre que j'ai acheté, avec toi d'ailleurs, à Mon's livres il y a 2 ans. C'est Flo qui me l'avait grandement conseillé. Il va très certainement remonter dans ma pile du coup :)

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    1. Je tenais aussi ce conseil de Flo, avant qu'Anne ne le lise et ne me le prête. :) Je pense que c'est un recueil qui pourrait te plaire, pas trop dur, mais un peu noir tout de même, et toujours de la douceur pour contrebalancer.

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