SUR LE MODÈLE DU DÉCAMÉRON DE BOCCACE, Giambattista Basile a lui aussi raconté des contes, enchâssés dans un récit-cadre de cinq jours (d’où le titre de Pentaméron parfois attribué au recueil, au lieu du Conte des contes original). Comme son prédécesseur, il a réuni des histoires d’origine populaire, mais s’en distingue par le genre privilégié : il s’agit du premier recueil entièrement composé de contes de fées, bien avant Perrault en France.
Si certaines histoires ont la même source que celles du célèbre conteur français et sont encore connues de nos jours (comme La chatte Cendrillone, dont la référence est assez explicite, et L’ourse, qui rappelle Peau d’Âne dans son début, pour ne citer que ces deux exemples), le plaisir de la lecture réside dans les variations et surtout dans le ton employé : c’est truculent et savoureux à souhait. Les métaphores sont nombreuses, imagées et inattendues. Vous attendriez-vous par exemple à être saluée d’un « Bonjour, archives de toutes les concessions du ciel, table universelle de tous les titres de beauté ! » et à répondre tout aussi naturellement d’un « Sois le bienvenu, ô garde-manger des grâces ! ô entrepôt des marchandises de la vertu ! ô douane des trafics d’amour ! » [Visage, p. 68] ? Ou peut-être serez-vous plus séduite par le discours suivant ?
Ô adorable petit bec de pigeon, ô petite poupée des grâces, ô belle colombe du char de Vénus, ô carrosse triomphant, si tu n’as pas les oreilles bouchées par de la bouillie de roseau, si tu n’es pas aveuglée par de la fiente d’hirondelle, je suis sûr que tu entendras et que tu verras les tourments provoqués par ta beauté dans ma poitrine et si mon visage, qui n’est plus que cendre, n’est pas pour toi le signe de la lessive qui bout dans mon cœur, si les flammes de mes soupirs ne te montrent pas la chaux vive qui brûle dans mes veines, comment peux-tu comprendre qu’une corde naît de tes cheveux pour m’enchaîner, que des charbons ardents sortent de tes yeux noirs pour me brûler, que les arcs ronds de tes lèvres décochent des flèches pour me blesser ? [La vieille écorchée, p. 48]
Les déclarations d’amour et les manifestations du désir sont ainsi exprimées de façon assez crue et inspirée du quotidien : de la cuisine, de la lessive, du mobilier, des animaux, etc. Cela peut paraître étrange à nos oreilles habituées à des expressions plus « raffinées », mais c’est aussi très drôle. Cela contrebalance ingénieusement la cruauté des contes, qui ne s’embarrassent pas de métaphores, ni de détours de ce point de vue : une vieille se fait écorcher pour rajeunir, une fée est découpée en morceaux par ses rivales, une reine fait manger ses propres enfants adultérins au roi, etc.
Malgré ces malheurs et péripéties, tout est toujours bien qui finit bien, par un dicton. J’y ai personnellement vu une nouvelle trace de l’inspiration populaire des contes, davantage qu’une morale ; une conclusion de bon sens plutôt qu’une injonction à la sagesse.
Le barbier, après avoir protesté, refusé pendant un bon moment, accepta à la fin en pensant au dicton : Attache l’âne là où son maitre te le dit. Il l’assit sur un tabouret et commença à faire un carnage de cette écorce noire. Le sang pleuvait et pissait, et de temps en temps la vieille disait : Il faut souffrir pour être belle. Mais lui continuait à la conduire à sa destruction et elle à chanter la même chanson. Quand il arriva à la rose de son ombilic, la force lui manqua avec le sang, alors, en guise d’au revoir, elle tira avec son derrière une salve et prouva à ses dépens le vers de Sannazar :L’envie, mon enfant,
Se consume d’elle-même.
[La vieille écorchée, p. 51]
NOTE sur l’édition : ce recueil ne reprend que douze contes sur les cinquante. L’intégralité du texte a été traduite par Françoise Decroisette aux éditions Circé en 2015. Si l’édition Libretto est idéale pour la découverte de l’esprit de ces contes, je compte bien me procurer l’édition complète pour prolonger le plaisir de la lecture.
Le conte des contes de Giambattista Basile, traduit du napolitain et préfacé par Myriam Tanant
Phébus (Paris), coll. Libretto, 2012
1re publication (posthume, sous le pseudonyme Gian Alesio Abbatutis) : entre 1634 et 1636
Phébus (Paris), coll. Libretto, 2012
1re publication (posthume, sous le pseudonyme Gian Alesio Abbatutis) : entre 1634 et 1636
Ce billet m'avait "échappé". Ca doit être amusant et puis la maison Phébus, la collection Libretto... même si elle est connue, je me dis parfois que ce serait un couette projet de la mettre à l'honneur... (ok je sors)
RépondreSupprimerCa m'a beaucoup amusée, je pense que tu pourrais apprécier aussi (tu peux déjà t'en faire une idée avec les extraits, je les trouve excellents et très représentatifs).
SupprimerAh Phébus... Tu sais qu'il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour que je mette cette maison à l'honneur, ne sors pas trop loin. ;)