Congo Inc. | In Koli Jean Bofane

Dans un environnement vicié par les ondes mortifères de l’uranium, du cobalt, du colombo-tantalite, que peut-on attendre de la part d’individus passés à la centrifugeuse, évoluant dans le contexte d’un réacteur nucléaire dernière génération ? L’irradiation permanente ne ramène pas l’innocence, elle conduit à la rage. Et tant pis pour les âmes sensibles si le lieu de la concentration et de la fusion est Kinshasa, laboratoire du futur et, incidemment, capitale de la nébuleuse, Congo Inc. [p. 289]
IN KOLI JEAN BOFANE livre un portrait du Congo en tant que lieu de multiples confrontations, entre les individus, les peuples, ainsi que le passé et le présent. La première opposition présentée au lecteur est celle des traditions et de la modernité, à travers les personnages d’Isookanga et de son oncle Lomama. Tandis que le second défend farouchement les savoirs ancestraux de leur peuple (ekonda), le premier ne rêve que de « mondialiser », de s’inscrire dans le mouvement de modernité qui conquiert peu à peu le pays. Le lecteur suivra ainsi son projet et sa montée à la capitale, avec toutes les désillusions et situations pittoresques qu’occasionne le roman de formation. D’autres personnages, comme Zhang Xia, un Chinois abandonné là par son associé, développent un autre point de vue, plus nuancé, désabusé aussi.

En parallèle de cette intrigue, de nombreuses autres s’entremêlent, au fil de l’apparition des personnages : l’histoire des shégués (enfants des rues) de Kinshasa, les guerres et massacres qui ont agité la région, la corruption qui infeste tous les niveaux de pouvoir, y compris là où on s’y attendrait le moins, les rapports des Européens et des Africains qui demeurent biaisés par le passé, entre autres. Tous ces destins s’entrechoquent dans une belle cacophonie, néanmoins rendue audible par In Koli Jean Bofane. Les histoires particulières sont ainsi l’occasion d’aborder la grande Histoire par des retours dans le passé : le génocide rwandais, dans lequel a trempé un haut fonctionnaire, les massacres auxquels ont échappé des shégués ou auxquels certains ont participé en tant qu’enfants soldats, les premières interventions internationales au Congo, pour ne citer que ces exemples.

Pour raconter cette fresque, In Koli Jean Bofane a fait correspondre la forme au fond : les tonalités du récit y sont diverses et changeantes. À une scène plutôt drôle succède la narration à peine édulcorée d’un massacre ou d’un viol. Il y a des passages très durs comme d’autres plus légers, plus rarement touchants. Le style des dialogues vient également trancher avec celui de la narration générale ; l’écriture plutôt littéraire est ainsi entrecoupée par une autre très oralisée, où se mélange le français, des langues congolaises (sous-titrées) et de l’anglais marqué d’un fort accent.

Un roman de confrontations, à tous points de vue.

Congo Inc. - Actes Sud

Congo Inc. Le testament de Bismarck d’In Koli Jean Bofane

Actes Sud (Arles), 2014 – 1re publication

Également disponible dans l’édition de poche Babel (à partir du 3 février)

* Prix Horizon du 2e roman *

6 commentaires:

  1. Marilyne23/1/16

    D'accord, tu confirmes, je veux ça ! :D

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  2. Je me souviens de ses "Mathématiques congolaises" et ce titre-ci m'a tout l'air d'être aussi intéressant.

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    1. Je n'ai pas lu ni n'ai entendu parler de ses Mathématiques congolaises. J'irai lire quelques avis,dont le tien s'il est sur ton blog.

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  3. Il semble y avoi pas mal de digressions, non ? Pas sûre que cela me plairait...

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    1. Je ne parlerais pas de digressions, mais on passe souvent d'un personnage à l'autre, sans que certains n'aient de liens directs ensemble ; il y a aussi des retours dans le passé d'un personnage introduit au paragraphe précédent, sans prévenir : il faut suivre, mais on ne s'écarte pas vraiment d'un fil principal, tous ces fils sont importants. Quant à savoir si ça te plairait, je n'ai pas de certitude...

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