Arrêt sur le Ponte Vecchio | Boris Pahor

Malgré moi, ma pensée s’est mise à parcourir les siècles, tous les siècles qui se sont écoulés depuis que nous, Slovènes, habitons près de la mer. [Arrêt sur le Ponte Vecchio, p. 231]
DANS CE RECUEIL DE NOUVELLES, Boris Pahor parcourt l’histoire slovène du XXe siècle, à travers quelques périodes et faits marquants. D’inspiration autobiographique, le recueil suit la chronologie et voit le narrateur grandir, passer de l’enfance dans la première partie à l’âge adulte dans les deux suivantes. Le regard, l’approche des évènements et la narration évoluent ainsi d’une partie à l’autre, tout en formant un ensemble intéressant sur lequel revient le dernier texte, Arrêt sur le Ponte Vecchio.

La première partie se déroule dans les années 20 ou revient sur des souvenirs de cette période. Un bûcher dans le port instaure d’emblée le contexte avec l’incendie du centre culturel slovène de Trieste par les Chemises noires. Tout l’art de Pahor est de relater l’évènement par les yeux d’un jeune enfant, ses interrogations et son incompréhension, tout en jouant sur l’implicite ; le lecteur devine aisément quant à lui ce qui se produit, ainsi que les raisons des comportements des uns et des autres. Les autres nouvelles illustrent ensuite la répression de la langue slovène et l’imposition de l’italien dans la ville, jusqu’au changement des noms. De ce point de vue, Des fleurs pour un lépreux quitte le regard enfantin et acquiert beaucoup de force par sa sobriété narrative.

La deuxième partie réalise un saut dans le temps et emmène le lecteur dans les camps, puis à la sortie de ceux-ci, avec trois longues nouvelles. Il s’agit à nouveau de laisser deviner le contexte global à travers des scènes quotidiennes, avec un certain détachement, m’a-t-il semblé, dans La coupole de cendre, sans doute celui de la déshumanisation. L’humanité et l’espoir reviennent plutôt dans Le berceau du monde.
Accablement aussi pour toi. À vrai dire, en cette fin de guerre, accablement pour nous tous qui sommes comme elle à vendre, encore une fois. Symphonie de l’accablement accablé. Coups de tambour, coups, uniquement. [L’alphabet muet de la nuit, p. 164]
La troisième partie, enfin, est plus diversifiée dans ses thèmes et le style, tout en présentant une Mosaïque de Trieste, différents points de vue sur la ville. Arrêt sur le Ponte Vecchio en est particulièrement exemplaire, en abordant les relations des Italiens et des Slovènes, la cohabitation parfois difficile et surtout la façon d’envisager leur histoire commune. Amour bafoué mêle encore une fois petite et grande histoire avec les Allemands, tandis que Sur les rochers, sous une intrigue beaucoup plus intime, résonne comme une autre attitude face au passé.

Dans l’ensemble, le recueil m’a aussi bien permis d’approcher l’histoire slovène – par exemple en appréhendant mieux ses relations avec les pays voisins, les tensions et les rapprochements qui ont pu exister – que de découvrir la plume de Boris Pahor, écrivain important de cette littérature. J’ai été séduite par les images qu’il déploie, les paysages comme les métaphores, par la fluidité de ses phrases, leur rythme habilement alterné entre court et long.

NOTE | Littérature slovène : pour notre thématique d'automne, Marilyne et moi avions choisi la littérature de l'ex-Yougoslavie ; c'est finalement la littérature slovène qui est à l'honneur cette semaine, avec L'Ange de l'oubli de Maja Haderlap.

Boris Pahor - couverture

Arrêt sur le Ponte Vecchio de Boris Pahor, traduit du slovène par Andrée Luck-Gaye et Claude Vincenot

Éditions des Syrtes (Genève), 1999 – 1re traduction française

1re publication (Slovénie) : 1999

3 commentaires:

  1. Faut voir... La première partie est celle qui me tente le plus (la seconde le moins). Ca m'a l'air très riche et différent d'une partie à l'autre d'où mon hésitation. Je pense que certains sujets me plairaient et d'autres pas. Je le note dans un coin.

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    1. J'aurais pu écrire le même message que toi, après lecture. J'ai beaucoup aimé la première partie, moins la deuxième et ai été mitigée selon les thèmes dans la troisième. Il y a quatre, trois, puis sept nouvelles par partie, on passe donc plus vite sur la deuxième. Je pense que certaines nouvelles pourraient t'intéresser ; peut-être retrouveras-tu leurs thèmes dans ses romans d'ailleurs, le recueil m'a presque paru une synthèse de son œuvre quand j'ai consulté sa bibliographie.

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    2. A priori je ne vais pas le lire finalement (j'ai déjà deux slovènes sur mes tablettes et j'aimerais les lire tous les deux cette année) mais si mes autres expériences slovènes me plaisent, cela pourrait m'inciter à découvrir d'autres auteurs. En fait, j'espère que mon défrichage européen me donnera des pistes à développer par la suite.

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