Un roman anglais | Stéphanie Hochet

Plus qu’Anna, Edward aime que les choses autour de lui ne changent pas. L’ordre est un idéal. Il prend comme référence la cosmogonie des Indiens – dont les territoires colonisés renforcent la nation britannique – ou une philosophie similaire. Un centre et une périphérie, des rotations de planètes, une musique des sphères : l’éternité est aussi ordonnée que cette image. [p. 135]
STÉPHANIE HOCHET met en scène une famille bourgeoise anglaise en 1917, réfugiée à la campagne pour fuir les bombardements sur la ville de Londres. Malgré la guerre et l’attente des nouvelles d’un cousin sur le front, la vie suit son cours, réglée comme les montres créées par Edward. Qu’importent les circonstances, les convenances sont maîtres, et les gens bien élevés « parfaitement capable[s] d’ignorer la présence d’un éléphant dans un salon » [p. 65] ou toute autre contrariété.
Et s’il pense soudain à George, Edward se braque : un élément étranger dans le système. George lui apparaît comme le grain de sable capable de mettre en danger le mécanisme dans son ensemble, c’est-à-dire sa vie. Edward doit cacher ses émotions. Surtout l’hostilité. Il dissimule cette colère. En apparence, il a toujours su mettre à distance ce qui n’était pas convenable, y compris ce qui sourdait au fond de lui, ce qui avait assez de force pour lui échapper avec la violence d’une décharge électrique. [p. 135]
Ce n’est pas tout à fait l’arrivée d’un enfant qui vient enrayer la belle mécanique du couple Whig, mais le jeune homme chargé de le garder, George (d’abord pris pour une femme par Anna, en référence à George Eliot). Par sa présence et par son comportement avec Jack, il égratigne les convenances, juste assez pour créer des failles par lesquelles s’insinue le doute. La vie fait irruption sous les apparences de bienséance, tandis que la conscience des corps s’éveille.
Dans nos familles, nous avons relégué nourriture et fèces des enfants aux gens de maison. Les avons sevrés le plus tôt possible, retirant le mamelon enflé des joues du nourrisson avec gêne, si possible les yeux détournés. Ne leur avons pas donné de bain, puisque d’autres s’en chargeaient. Peu d’embrassades, peu de corps en somme. Et le fait de dire « en somme » souligne comme nous aimons conclure sur nous-mêmes. Tourner des pages, en particulier celle, gênantes, de la petite enfance. La petite enfance impossible à contrôler. L’âge agité et malodorant. [p. 107-108]
Stéphanie Hochet décrit l’évolution des personnages de façon très subtile et intériorisée, dans un récit centré alternativement sur Anna et sur Edward. Leur comportement, comme leurs pensées, sont analysées avec finesse, et leur évolution se fait avec réalisme, à petites touches. Il demeure malgré tout bien des non-dits dans cette narration, qui entretiennent la tension croissante, presque sans qu’il n’y paraisse. J’ai ainsi été surprise par les scènes finales, leur violence, que je n’avais pas vue arriver, bien qu’elle soit parfaitement préparée. Selon le modèle des romans anglais, la société étouffe tout écart et n’en rend les rebellions romanesques que plus éclatantes.

Un roman anglais subtil et au crescendo bien maîtrisé.

Un roman anglais - Hochet S

Un roman anglais de Stéphanie Hochet

Rivages (Paris), 2015

* Conseil de Marilyne *

15 commentaires:

  1. J'ai rencontré l'auteur à un salon, mais un peu avant la sortie de ce roman ... Je lui ai pris un livre sur les chats (on ne se refait pas) , pas encore lu...

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    1. J'ai entendu parler de son livre sur les chats, j'y viendrai peut-être, mais après d'autres de ses romans ; sa bibliographie semble bien fournie.

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  2. J'aurais lu ton billet avant d'entamer le livre, j'aurais su que ce n'était pas pour moi ! Pas de désastre climatique cet hiver a priori ;)

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    1. La prochaine fois, je tâcherai d'être plus rapide pour t'avertir alors. ;)

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  3. J'adore le com' de Flo :D ( j'étais étonnée qu'elle se laisse prendre à la tentation de cette lecture... )

    J'ai apprécié ces scènes finales, pourtant pas adepte de l'effet de surprise en général, je crois que j'aurai été déçue sans.

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    1. Un instant d'égarement peut-être ? ^^

      J'ai moi aussi apprécié ces scènes finales, passé l'effet de surprise ; elles ferment parfaitement le roman, elles m'auraient manqué.

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    2. J'ai les oreilles qui sifflent ;p

      Je n'avais jamais eu envie de lire l'auteur mais dès que j'ai vu ce livre en librairie au printemps, j'ai été prise de palpitations... Erreur de casting finalement et sur toute la ligne (je n'ai pas du tout accroché à l'écriture en plus de "l'histoire" - c'est un grand mot du moins jusqu'où j'ai lu).

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    3. C'est vrai que l'histoire est lente à démarrer et que ça ne se précipite vraiment que sur la fin. Dommage pour l'erreur de casting, pour une fois que nous lisions le même titre à peu d'intervalle.

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  4. Le voilà donc, ce roman anglais ;-) J'espère que ça me plaira autant qu'à vous deux !

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  5. Le retour de Maryline m'avait déjà mis l'eau à la bouche. La lenteur de l'histoire, sur laquelle tu focalises davantage ton retour, n'est pas vraiment pour me plaire, mais je crois que je découvrirai ce roman assez vite, réservé à la bibliothèque.

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    1. J'ai hâte de savoir ce que tu en penseras et espère qu'il te plaira malgré tout. C'est en effet un peu lent, mais le final est plus violent, il faut juste laisser le temps aux émotions de se mettre en place.

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  6. Voilà qui conforte mon intérêt pour ce roman dont Marilyne avait parlé. Merci pour les extraits.

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  7. J'avais lu une chronique relativement courte sur ce roman mais qui était assez percutante pour donner envie de le lire...j'avais noté la référence du roman puis je l'ai perdue, du coup, merci, parce que c'est grâce à ton blog que je la retrouve...l'histoire a l'air plutôt pas mal et le résumé que j'ai lu il y'a plusieurs mois m'avait tentée...à voir.

    https://www.instagram.com/lesbooksdalittle/

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    1. C'est un roman très réussi, que je conseille.

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