Conter | Myriam Mallié

Pourquoi, au moment du raconter, ne se sent-on jamais prêt ? [p. 26]
POURQUOI, au moment d’évoquer un livre aimé, et particulièrement ceux de Myriam Mallié*, ne me sens-je jamais prête ? Sans doute parce qu’en tant que conteuse, elle possède l’art de (faire) voir au-delà de l’histoire narrée, de (faire) toucher du doigt des questions essentielles, enfouies en chacun. Sous une apparente simplicité, elle entremêle les genres, les histoires et leur portée ; elle mène à l’essentiel, si difficile à exprimer.
Dans ces territoires-là, rien n’est séparé. Tout ce qui arrive participe à l’itinéraire, c’est ce que disent les contes. Ils m’offrent une manière d’ordonner en donnant forme par la parole. Conter c’est autre chose qu’une attraction vague pour l’irrationnel, une écume de spiritualité que flattent les contes. [p. 32]
Dans ce « journal » – recueil de notes et de croquis partagé –, Myriam Mallié revient sur son travail de conteuse, sur ce qu’est l’action de conter. Il y a tout d’abord le temps de la découverte du conte, celui de l’apprivoisement et de la mise en présence. Le conteur se laisse imprégner, avant de se documenter ou d’analyser le texte, de « s’absorber dans les images qui fleurissent dans les jardins du conte, y exercer son souffle et l’expertise de ses mains jardinières, y nourrir son émerveillement. » [p. 48] Il s’agit de savoir comment le conte le transforme et quelles parts de l’intime il remue, c’est-à-dire comment il pourrait atteindre l’auditeur.
La question est : qu’est-ce que le conte a à faire avec moi ? Il s’agit de rendre à ta petite vie, celle que tu bricoles comme tu peux au quotidien, la puissance de sa nature élémentaire, son ampleur conteuse. Ça n’empêche rien, non. Ça donne du souffle, peut-être une foi. [p. 11]
À travers l’étape du « raconter » à un auditoire, Myriam Mallié aborde d’autres éléments, dont je ne me doutais pas en tant que lectrice, plutôt qu’auditrice de contes : le corps, la voix, la parole conteuse (« voix confidentielle […] sous le fracas quotidien des paroles dominantes. » [p. 27]), l’art de raconter à, et non pour.
La question pour un conteur n’est pas : qu’est-ce qu’un conte ? Comment répondre à cela, qui a l’ampleur d’un phénomène naturel, la pousse d’une tige de coquelicot, la formation d’un cyclone, la formidable ouïe d’un chat ? [p. 11]
Bien que ce ne soit pas la question pour elle, Myriam Mallié donne également quelques clés de ce qu’est un conte. Ce n’est pas une simple histoire qui finit bien et où tout s’arrange ; cela ne nous toucherait pas autant si cela s’y réduisait. Plutôt que sur l’issue heureuse, ces récits insistent sur le parcours du héros, celui en qui nous pouvons reconnaître notre propre fragilité. Malgré celle-ci, les épreuves sont surmontées, « le conte témoigne de la victoire de la vie sur la mort » [p. 67]

Raconter simplement parce que cela nous touche là où nous sommes, blessés, incomplets, imaginant et désirant, et que d’être touché là, et de le dire, nous est nécessaire. [p. 67]

Une réflexion très riche sur le conte(ur), son art et ce qu’il (a)porte.

* J’ai lu La petite sirène en juin 2013 et compte poursuivre prochainement avec Le petit chaperon rouge.

NOTE | L’heure du conte : il était une fois Conter avec Marilyne. En ces dernières semaines de l’année, nous vous proposons un voyage littéraire au royaume des contes, un jour sur deux, d’une époque à l’autre, à travers les genres et les contrées du monde.

Conter - Myriam Mallié

Conter de Myriam Mallié (journal et dessins)

Esperluète (Noville), coll. Livres, 2013 – 1re publication

* A la découverte d’Esperluète *
* Projet non fiction *

10 commentaires:

  1. " l'art de faire voir " , expression au plus juste, les " images " du conte dont Myriam Mallié parle tant et si bien. Très belle lecture partagée-partageuse en ouverture de thématique.
    ( un extrait en commun ;))

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    1. Une très belle lecture, oui, et un partage très enrichissant. Je crois que nous n'en avons pas fini avec Myriam Mallié, ni l'une ni l'autre. :)

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    2. Oh non, pas fini. Je louche depuis un moment sur son Gilgamesh mais je te laisse imaginer depuis ce que j'ai lu dans " Conter " sur sa " relation " à son conte, fondateur s'il en est, l'expérience que fut la création du spectacle, et " son épopée " pour sa version !

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    3. J'imagine tout à fait, j'ai repéré le passage moi aussi (et le titre). Peut-être le prochain sur la liste...

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  2. Oh une dame à découvrir, manifestement ! J'aime vraiment beaucoup le dernier extrait cité.

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    1. A découvrir absolument ! Elle sait raconter, et je ne doute pas qu'elle te touchera toi aussi.

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  3. Merci pour ce billet très intéressant et la découverte. J'aime beaucoup les contes, ayant aussi suivi une année (ou deux) de formation avec une conteuse professionnelle... Et j'admire les conteurs, certains sont extraordinaires dont Christine Laveder par exemple, que j'ai adoré écouter, superbe et inoubliable !

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    1. Je connais peu, voire pas du tout, les conteurs et leur univers. Cette formation devait être passionnante ! Je pense que ce livre ne pourra que te parler et que tu seras sensible à la conteuse Myriam Mallié, si tu es déjà familière de ce monde des contes.

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  4. Je suis en train de plancher sur la rédaction d'un billet sur La Mort de Gilgamesh, et d'un autre sur Le petit chaperon rouge. Je suis tombée sous le charme de cette conteuse, qui n'est pas qu'une conteuse.

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    1. J'attends de te lire impatiemment au sujet de ces deux contes et t'accompagnerai avec Le petit chaperon rouge. Tu as raison de souligner que Myriam Mallié n'est pas que conteuse, ce livre-ci en témoigne aussi.

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