Natacha | Vladimir Nabokov

L’AMOUR semble réunir ces cinq nouvelles de Nabokov, qu’il s’agisse des prémisses ou de la fin d’une relation. Natacha illustre par exemple parfaitement les premiers frissons amoureux d’une jeune fille et l’éveil du corps. Bruits en montre ensuite la fin, tout comme Bonté. Celle-ci se rapproche du Mot par une autre dimension de l’amour : celui porté au monde, à ce qui nous entoure. Enfin, La vengeance est plus brutale et se place sous le signe de la jalousie d’un époux. 

Excepté cette dimension amoureuse, les nouvelles sont assez différentes et déploient chacune une ambiance qui leur est propre. Au premier abord réaliste, Natacha entraîne doucement le lecteur sur la pente du fantastique, au cours d’une chute plutôt prévisible. La vengeance s’inscrit également dans cette veine réaliste et grinçante : le regard porté sur le couple est sans concession, comme la sentence du mari trompé. Le Mot s’annonce quant à lui onirique et lyrique dès son début : 
Emporté depuis la nuit ici-bas par le souffle inspiré du rêve, je me tenais au bord d’une route sous un ciel pur entièrement doré, dans un pays de montagnes extraordinaire. Je sentais, sans les regarder, le lustre, les aspérités et les arêtes d’immenses rochers mosaïqués, les gouffres aveuglants, le scintillement miroitant de nombreux lacs en contrebas, derrière moi. Mon âme était saisie d’une sensation de polychromie, de liberté et de sublimité divines : je savais que j’étais au paradis. [p. 35] 
Son ton le rapproche de Bruits et de Bonté, où l’attention est portée aussi bien aux êtres (passants, vieille femme devant un étal de cartes postales ou couple d’étrangers) qu’aux bruits environnants et aux paysages champêtres ou citadins. C’est précisément cet entremêlement entre intériorité et extérieur qui provoque la prise de conscience et la fin de l’amour, en douceur. Le monde apparaît soudain tel un miroir, un révélateur redoutable et consolant à la fois. 
Je sentis alors la tendresse du monde, la profonde bonté de tout ce qui m’entourait, le lien voluptueux entre moi et tout ce qui existe, et je compris que la joie que je cherchais en toi n’était pas seulement celée en toi, mais flottait partout autour de moi, dans les bruits fugitifs qui s’envolaient dans la rue, dans la jupe remontant bizarrement, dans le grondement métallique et tendre du vent, dans les nuages d’automne débordant de pluie. Je compris que le monde n’était pas du tout une lutte, n’était pas des successions de hasards rapaces, mais une fois papillotante, une émotion de félicité, un cadeau que nous n’apprécions pas. [Bonté, p. 87-88]

Des nouvelles de jeunesse plaisantes, en guise de découverte de Nabokov. 

Natacha et autres nouvelles - Nabokov 
Natacha et autres nouvelles de Vladimir Nabokov, traduit du russe par Bernard Kreise 

Gallimard (Paris), coll. Folio 2€, 2012 

Rédaction : entre 1921 et 1924 

* Mois de la nouvelle *

6 commentaires:

  1. Je connaissais un peu ce livre mais de l'auteur je voudrais surtout lire "Lolita" pour l'heure

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    1. As-tu déjà lu ces nouvelles-ci ou ne les connais-tu que de nom ? Qu'en as-tu pensé ? J'aime aborder l’œuvre d'un auteur par ses nouvelles ou par des textes secondaires, avant d'en arriver à l’œuvre la plus (re)connue, c'est une façon de me rassurer. Lolita attendra donc encore un peu, l’œuvre de Nabokov semble assez abondante pour que je l'explore avant.

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  2. Entre le thème principal et ton manque d'enthousiasme, tu comprendras que je passe mon tour. Mais je retenterai des nouvelles Nabokov en espérant bien tomber.

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    1. Je me doutais que je ne te convaincrais pas... Rien que le thème qui m'a paru principal en était un signe.
      En relisant quelques passages, le style me séduit et me donne envie de retrouver l'auteur, mais les histoires m'ont très vite échappé ; mon manque d'enthousiasme est surtout dû à un billet tardif sur des nouvelles peu mémorables.

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  3. L'amour est un thème que j'apprécie, surtout lorsque sont brassées les différentes étapes, et les formes qu'il prend. Mais je n'ai pas ressenti dans ton billet un enthousiasme suffisant pour me faire noter ce titre. Tu es mitigée?

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    1. Je ne suis pas vraiment mitigée, j'ai apprécié la lecture, mais elle s'est très vite effacée de ma mémoire, et j'ai eu du mal à me détacher de mes notes pour rédiger cette chronique. C'était plaisant, mais sans plus pour moi, malheureusement, d'où le manque d'enthousiasme marqué.

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