VS | Zsuzsa Rakovszky


VS est basé sur la vie de la comtesse hongroise Sarolta Vay (1859-1918), qui vécut en homme, mena une carrière littéraire et consomma deux mariages avant que le scandale éclate. [Extrait de la présentation de l’éditeur]
ZSUZSA RAKOVSKY fait revivre cette figure historique originale en lui rendant une voix dans ce roman-journal. Inspirée par l’œuvre littéraire et par les journaux de Sándor Vay, elle reconstitue sa vie au gré des souvenirs qui peuvent surgir pendant les longues heures d’attente en prison. Les notes de chaque jour, datées, concernent aussi bien les évènements récents – rencontres avec les juges et avec un psychiatre notamment – que plus anciens – le temps heureux des amours, avant que n’éclate le scandale, ou l’époque plus lointaine de l’enfance, bercée de romans et de rêveries éveillées – auxquels se mêlent des poèmes et des réflexions personnelles.

Sous la plume de Zsuzsa Rakovsky, V.S. adopte un ton très romantique et exalté, proche de celui du jeune Chateaubriand dans ses Mémoires. Cela donne lieu à des envolées lyriques, à de beaux passages sensibles et touchants. Cela renforce également la personnalité du personnage, cette femme qui se sent homme et impose cette évidence au lecteur. Sa force d’auto-persuasion agit implacablement et brouille les frontières entre réalité et fiction. Le rêve se confond avec le réel dans l’esprit de V.S., qui refuse toute contradiction avec son fantasme ; tout détail est propice ou déformé pour se conformer à la vie qu’il entend mener et à l’identité dont il se réclame.
C’est faux, m’écriai-je en moi-même. Je me suis toujours montré tel que je suis au plus profond de moi, et j’aurais menti si j’avais accepté l’étiquette que vous voulez me coller ; est-ce ma faute si votre monde n’a pas de mot pour désigner ce que je suis ? Si je m’étais tapi docilement dans la cage que vous avez construite pour moi et pour tout le monde – et dans laquelle d’autres s’installent peut-être confortablement, mais dont les barreaux meurtrissent mes chairs – là, j’aurais menti ! [p. 381-382]

Ce seul point de vue de V.S. aurait pu fournir un roman plaisant et d’inspiration romantique plutôt réussi, mais Zsuzsa Rakovsky ne s’est pas arrêtée là. Grâce à l’insertion des notes du psychiatre chargé d’évaluer l’état psychologique de la jeune femme avant son procès, elle déplace le regard du lecteur et instaure un recul critique. L’identification et la lecture naïve du journal ne sont plus possibles ; le lecteur est placé à son tour dans une position extérieure, presque de voyeur, en compagnie du médecin.

Cette posture forcée d’observateur est intéressante et fait la richesse du roman dans le sens où elle suscite la réflexion et le trouble. L’alternance du masculin et du féminin, selon que V.S. ou le psychiatre s’exprime, sème le doute quant à l’identité de ce personnage : qui est-il ou est-elle vraiment ? Cela pose également la question des genres et de leur frontière : est-elle si hermétique qu’il n’y paraît ? Comment définir l’homme et la femme, cela relève-t-il uniquement de critères biologiques ? Toutes ces interrogations ont traversé ma lecture, sans jamais être posées explicitement dans le récit, chacun des personnages affirmant haut et fort ses certitudes jamais ébranlées. Le lecteur, en revanche, ne sort pas indemne d’une telle confrontation…

Un roman troublant, qui résonnera longtemps en moi.

*
Tel un chat sauvage, l’automne se tapit
Sous la treille que ses griffes ont ensanglantée.
Des ombres hantent mon pauvre cœur refroidi
Qui ne brûlera plus jamais des feux d’été. 
[p. 408-409]
NOTE | Semaine hongroise : Marilyne a choisi une autre auteure, célèbre pour sa trilogie des jumeaux, Agota Kristof.

VS - Zsuzsa Rakovsky

VS de Zsuzsa Rakovszky, traduit du hongrois par Natalia Zaremba-Huzsvai et Charles Zaremba

Actes Sud (Arles), 2013 – 1re traduction française

1re publication (Hongrie) : 2011

12 commentaires:

  1. Aaaaaah, tout ce que tu dis de ce roman m'emballe complètement !!! Je note !

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    1. Ca ne m'étonne pas. ;) Il vaut vraiment la peine d'être noté, ce sera une de mes lectures marquantes de cette année.

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  2. Voilà une œuvre qui me tente tout à fait! La citation que tu proposes est puissante et je trouve bcp de plaisir en ce moment (avec La petite communiste...) à lire des romans (ou biographies) qui parlent de la vie de personnages réels.

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    1. Ah je suis ravie de te tenter ! Je n'ai pas été très attentive au fait que c'était inspiré de faits réels, mais cela donne encore une autre dimension à ce roman quand j'y pense.

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  3. Evidemment, ce billet, qui parvient parfaitement à présenter les fils du récit, est plus que tentateur. Le jeu identitaire qui se retrouve dans la narration est troublant, rend curieux. Petit recul tout de même quant au ton employé pour l'héroïne. Mais ce double brouillage entre réalité et fiction... biographie romancée ? ^-^

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    1. Biographie romancée, certainement, mais j'ignore dans quelle mesure. Je n'ai trouvé aucune information en français sur Internet lors d'une rapide recherche sur le personnage (hormis celles liées à ce roman), et il n'y a pas d'indication de l'auteure au sujet de son inspiration. Il n'y a que cette mention sur la quatrième de couverture.

      Je comprends le recul quant au ton employé, il m'a parfois ennuyée (qui dit romantique implique aussi une certaine propension à geindre...) et a sérieusement agacé Flo. Les interventions du psychiatre m'ont permis de prendre du recul face à cette écriture et de la lire plus aisément.

      Laisse-toi tenter, lis au moins les premières pages sur le site d'Actes sud pour savoir si le style te rebute au point de renoncer. ;)

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    2. Anonyme19/6/15

      Bonjour bonjour !
      Personnellement j'ai découvert Sandor Vay grâce à Simone de Beauvoir, qui en dresse un superbe portrait dans le Deuxième Sexe - c'est-à-dire bien avant que VS eût paru, je vous conseille d'y jeter un oeil pour avoir des infos peut-être complémentaires :) Pour ma part je harcèle tous les libraires de Nantes tant je veux lire ce livre !

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    3. Merci pour ce conseil ! J'ignorais que Simone de Beauvoir en avait parlé, je n'ai lu qu'une partie du Deuxième sexe. J'espère que vous finirez par obtenir le livre tant désiré. :)

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  4. Je l'ai vu passé en librairie mais sans m'y arrêter. Erreur!

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    1. Erreur, en effet... Il m'a personnellement d'emblée tentée, ce sont exactement les thèmes qui me correspondent.

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  5. Erreur en effet, c'est une excellent roman, troublant, qui pose les problèmes de l'identité sexuelle. L'héroïne, le héros vit dans un déni, dans un mensonge, qui n'est mensonge que pour la société, car elle/lui est d'une sincérité totale. Je recommande sa lecture.

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    1. Nous sommes donc tout à fait d'accord sur ce roman. Ce décalage entre la vision de la société et celle du personnage principal est vraiment troublant et très bien rendu par la double narration.

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