Quand, dans cet état, pris d’étourdissements, ils traversaient la ville, ils s’étonnaient ; rien dans la rue n’avait changé. Le père Liszner ouvrait et fermait sa boutique, les gens se levaient, se couchaient. Des profs allaient au restaurant pour déguster un petit déjeuner consistant. Le bac, pour eux, c’était tous les ans, pourquoi auraient-ils renoncé à s’amuser ? [p. 163]
LA FIN DE L’ANNÉE SCOLAIRE approche, de même que le bac, qui
inquiète tant les lycéens. Révisions en groupe et chansons potaches pour
tromper l’anxiété sont au programme, tandis que les professeurs jouent leurs
dernières cartes pour sauver les retardataires.
Il est difficile d’en dire plus sur ce roman sans révéler
des évènements tardifs, comme le fait malheureusement la quatrième de
couverture. L’intrigue s’étend du premier mai à la fin de l’été, avec un
épilogue hivernal, et Dezsö Kosztolányi prend le temps d’étendre sa narration
sur toute cette période. Il installe chaque protagoniste, chaque petit fait
quotidien, a priori sans importance et qui en prendra pourtant de plus en plus.
Le rythme peut donc sembler lent et le récit ne pas démarrer, mais la tension n’en
monte pas moins inexorablement. Presque sans s’en rendre compte, le lecteur se
laisse happer, et les pages se tournent plus vite qu’il n’y paraît.
Cette écriture qui s’étend dans le temps permet à l’auteur d’accorder
une grande importance aux détails, ainsi qu’à la psychologie des personnages.
Tous sont scrutés les uns par les autres, et en particulier par le narrateur
omniscient. Les étudiants comme leurs vieux professeurs sont analysés en profondeur,
avec beaucoup de justesse.
Que savaient-ils des tourments des jeunes ?... On leur répétait que la jeunesse était le seul véritable trésor, que la vieillesse s’accompagne de souffrances, de maladies… Les élèves cependant les enviaient. Ils la détestaient, oh, combien ! cette belle jeunesse, qui n’a jamais nulle part droit au moindre respect, quantité négligeable partout méprisée, qui salue toujours la première et attend ; dédaignée quand elle est pauvre, son argent ne lui sert à rien quand elle est riche. […] Ah ! plutôt les rhumatismes, les têtes chauves et les calculs biliaires de la vieillesse, que ce bonheur-là ! Du respect, de la considération ! Suffit la belle jeunesse, faite de tourments et d’humiliations !... C’est pourquoi ils étaient si impatients d’en voir la fin… [p. 163-164]
Si les personnages sont observés en fonction de leur
appartenance à un groupe (formé par l’âge, la profession, la religion, etc.),
ils le sont également de façon individuelle. Nul n’est creux dans ce roman,
chaque protagoniste a sa personnalité propre, qui exclut tout manichéisme. Grâce
à cette épaisseur psychologique, chacun peut être compris, de même que les
malentendus qui surgissent suite à la confrontation d’êtres si peu faits pour s’entendre.
Le lecteur assiste ainsi à l’inéluctable et à divers naufrages intérieurs :
les certitudes du professeur principal se trouvent ébranlées aussi bien que
celles de son étudiant. Sans jamais porter lui-même de jugement explicite, Dezsö
Kosztolányi interpelle son lecteur sur de nombreux sujets : l’éducation
(scolaire et parentale) et les valeurs morales en particulier. Comment
(sur)vivre lorsque son système de pensée s’écroule et s’avère imparfait ?
Un roman psychologique captivant.
*
La seule belle saison, chez nous, c’est l’automne, observa Tàlas en hochant la tête. L’automne, long, régulier, l’automne hongrois… [p. 20]
NOTE | Semaine hongroise : Marilyne et moi avons découvert
Dezsö Kosztolányi ensemble, avec Alouette et ce Cerf-volant d’or.
Le cerf-volant d’or de Dezsö Kosztolányi, traduit du hongrois
et postfacé par Eva Vingiano de Piña Martins
Viviane
Hamy (Paris), coll. bis, 2011
1re publication (Hongrie) : 1925
1re traduction française (Viviane
Hamy) : 1993
En te lisant, je me rends compte que nous avons eu la même belle lecture de D.Kosztolanyi, avec pourtant des titres différents : les portraits psychologiques, l'écriture qui ne néglige ni le contexte, ni les décors, ni les personnages secondaires, le lecteur touché sans que l'auteur n'est porté de jugement... ( et la quatrième de couverture bavarde ! ). Ravie d'avoir enfin lu D.Kosztolanyi, et ce en ta compagnie :)
RépondreSupprimerMerci de m'avoir incitée à le lire avec toi : j'étais un peu hésitante, et il aurait été dommage de passer à côté de ce titre, ainsi que de cette écriture. J'ai le sentiment d'une œuvre cohérente chez cet auteur, d'un univers qui se retrouverait d'un livre à l'autre (je compte bien le vérifier avec Anna la douce :))
Supprimern'AIT. Hum ^^ ( tu as le droit de me corriger :))
RépondreSupprimerDésolée, je ne sais pas éditer les commentaires...
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