EN QUELQUES LIGNES, le plus souvent trois pages, rarement
plus de cinq, Agota Kristof trace une série de portraits et d’instants
inquiétants. Elle joue avec les nerfs et les attentes de ses personnages aussi
bien que de ses lecteurs : les retournements de situation, les chutes
finales, les sous-entendus et allusions faussement innocentes foisonnent dans
ces courts textes. Face à cette vie si peu prévisible, la folie en guette plus
d’un, et la mort rôde, celle qui fait tourner La grande roue ou qui pourrait être un étrange cambrioleur :
Fermez bien vos portes. J’arrive sans bruit, avec des mains gantées de noir.Je ne suis pas de l’espèce brutale. Ni de l’espèce vorace et stupide.Sur mes tempes et mes poignets, vous pourriez admirer le dessin délicat des veines, si l’occasion vous en était donnée.Mais je n’entre dans vos chambres que lorsqu’il est tard, quand le dernier des invités est parti, quand vos lustres hideux se sont éteints, quand tout le monde dort.Fermez bien vos portes. J’arrive sans bruit, avec des mains gantées de noir.Je ne viens que pour quelques instants, mais tous les soirs sans relâche et dans toutes les maisons sans exception.Je ne suis pas de l’espèce brutale. Ni de l’espèce vorace et stupide.Le matin, quand vous vous réveillerez, comptez votre argent, vos bijoux, rien ne manquera.Rien qu’un jour de votre vie.[Le cambrioleur, p. 81-82]
La mort frappe bien des personnages d’Agota Kristof et donne
lieu à des textes plus touchants, qui n’en interpellent pas moins, par un fait
de société effleuré – La mort d’un
ouvrier lève par exemple le voile sur ce que fut sa vie, grâce à un habile
parallélisme – ou par l’écho que cela peut susciter chez le lecteur, en
souvenir de la perte d’un parent (Mon
père). L’écriture sobre et classique
favorise cette identification, ainsi que l’efficacité des nouvelles : le
style se fait oublier pour mieux entraîner dans l’histoire narrée et ne laisser
que celle-ci en mémoire.
Des nouvelles très courtes, qui m’ont étonnamment beaucoup
plu.
*
L’automne, chaque année, nous surprenait dans ce jardin avec une poignée de feuilles rouges qui tombaient tout à coup des arbres, quand on se croyait encore au beau milieu des beaux jours. [D’une ville, p. 95]
NOTE | Semaine hongroise : Agota Kristof est également à l’honneur sur Lire & Merveilles, où est présenté L’analphabète.
C’est égal d’Agota Kristof
Points (Paris), 2006
1re publication (Seuil) : 2005
Arrivée à ton billet après avoir lu celui de Marilyne, je retrouve cette inquiétude, cette tension permanente - l'extrait tiré du "Cambrioleur" fait froid dans le dos.
RépondreSupprimerLe billet de Marilyne éclaire assez bien la personnalité de l'auteure et explique cette inquiétude que j'ai moi aussi lue dans ces nouvelles, oui...
SupprimerIl ne s'agit pas d'un extrait du Cambrioleur, mais de la nouvelle entière, l'une des plus courtes et l'une de celles qui m'ont particulièrement frappée.
Pas mal cette vision inquiétante de la mort qui nous guette. Très bon choix de l'auteur d'utiliser que deux ou trois pages pour raconter une vie car la mort nous prend dans l'instant.
RépondreSupprimerJe n'avais pensé à cette brièveté comme celle de la mort, mais le rapprochement est intéressant, surtout dans les nouvelles où la mort est racontée, plutôt que la vie.
SupprimerSaisissante la chute de cette nouvelle ultra-courte ! Je ne veux pas lire le Grand Cahier, peut-être ces nouvelles passeraient-elles mieux.
RépondreSupprimerSans avoir lu le Grand cahier, je peux difficilement comparer, mais je pense que ces nouvelles pourraient mieux passer par leur brièveté. Elles sont percutantes et très fortes, sans s'étendre.
SupprimerTu sais que ce recueil me reste à lire. Et je sais qu'il me prendra.
RépondreSupprimerEn lisant l'extrait ( et les commentaires ), je pense à un passage de " L'analphabète " où Agota Kristof dit son admiration pour l'écrivain autrichien Thomas Bernhard et parle de son livre " Oui ", un livre plus que marquant pour elle.
" ... le contenu en est terrible, car ce " oui " est bien un " oui ", mais un " oui " à la mort, donc un " non " à la vie. "
Je ne doute pas que ce recueil te plaira autant que tes autres lectures, il semble tout à fait dans leur lignée (et c'est pourquoi je poursuivrai moi aussi avec l'auteure).
SupprimerJ'ai envie de répondre à ton extrait par une autre nouvelle, où un personnage dit quant à lui "non" à la mort. Il y a décidément beaucoup d'échos dans son œuvre, et tu me confirmes que L'analphabète semble l'éclairer.