Madame,Je prends la plume afin de vous donner une preuve indéniable que vos désirs sont pour moi des ordres. Si pénible que soit la tâche, je vais vous tracer le tableau de ces scandaleuses périodes de ma vie, dont je suis enfin sortie pour jouir de tous les avantages que peuvent procurer l’amour, la richesse et la fortune [p. 15]
DANS LA TRADITION du roman de fille du XVIIIe
siècle, Fanny Hill entreprend de raconter son histoire et son ascension sociale :
depuis la mort de ses parents et l’arrivée dans la capitale jusqu’à une vie de
rentière, aisée et vertueuse. Elle s’enrichira en effet, tant matériellement qu’intellectuellement,
au cours de cette période de courtisanerie et de prostitution. Il faut dire que
contrairement à la Justine de Sade, Fanny Hill est une orpheline plutôt
chanceuse et gâtée par son auteur : elle parvient toujours à échapper aux
griffes des plus malintentionnés et rencontre sur sa route beaucoup de
personnages bienveillants à son égard. Amoureux transis, maquerelles maternelles
et compagnes de débauche solidaires se succèderont pour lui prodiguer amour, amitié,
aide financière ou conseils avisés.
Peut-être est-ce cette bienveillance qui préservera Fanny Hill
et en fait un personnage assez candide, à l’instar de l’héroïne du marquis de
Sade. Elle semble conserver une part d’innocence, même dans la débauche – qui reste
elle-même plutôt sage quand on pense aux tableaux d’autres romanciers français.
Quelques préjugés demeurent, notamment vis-à-vis de l’homosexualité censurée
tant par John Cleland que par le traducteur du XIXe siècle, Isidore
Liseux. Cette candeur a également pour conséquence de dévoyer la portée « philosophique »
de l’ouvrage : j’ai personnellement lu davantage de justifications que d’« observation[s] des caractères et des mœurs de ce monde. » [p. 15] Néanmoins,
ce déroulement narratif a l’avantage de rendre presque crédible le happy end et l’éloge final de la vertu,
qui fait si souvent figure d’exercice de style imposé dans la plupart des
romans libertins.
Vous riez, peut-être, de cet épilogue moral que me dicte la vérité, après des expériences comparées ; vous le trouvez sans doute en désaccord avec mon caractère ; peut-être aussi le considérez-vous comme une misérable finasserie, destinée à masquer la dévotion au vice sous un lambeau de voile impunément arraché de l’autel de la Vertu […] [p. 317]
N’en étant pas à une contradiction près, Fanny Hill n’étonne
pas tant que cela avec ce retour à la vertu et le « sacrifice » final
du vice, au terme de ces aventures érotiques.
Une autre contradiction rencontrée dans ces Mémoires est liée au style. La préface
annonce la « vérité ! Vérité
toute nue ! », sans « un
voile de gaze » [p. 16]. Le procédé est à nouveau courant dans ce type
de roman libertin mettant en scène une courtisane, à qui il n’est guère demandé
de faire des manières et qui confronte le lecteur à la nudité exigée d’elle. Le
style n’est ensuite pas si cru qu’escompté, et Fanny Hill en vient à s’excuser :
« Ici, permettez-moi de vous faire
une excuse que j’ai la conscience de vous devoir : c’est que j’ai,
peut-être, trop affecté le style figuré. » [p. 291] Si certains lecteurs
en seront déçus, d’autres, comme moi, apprécieront sans doute davantage cette
écriture de l’érotisme imagée et les métaphores de l’époque.
Un roman libertin de fille plutôt classique et plaisant.
Mémoires de Fanny Hill,
femme de plaisir de John Cleland, traduit de l’anglais par Isidore Liseux
et préfacé par Michel Bulteau
La Différence (Paris), coll. Minos, 2006
1re publication (Angleterre) : 1747 / 1748
1re traduction française
« quintessenciée » (Fougeret de Monbron) : 1751
1re traduction française intégrale (Isidore
Liseux) : 1887
Une agréable découverte grâce à toi ! Merci
RépondreSupprimerJ'ai eu l'impression que tu n'avais pas tant apprécié que ça en lisant ton article, mais tant mieux si la découverte fut agréable.
SupprimerTon regard est intéressant sur cette lecture! Tu facilites la compréhension pour les novices.... :)
RépondreSupprimerTant mieux ! J'ai toujours un peu peur de m'emballer avec ces articles et de partir dans une analyse un peu trop poussée pour ceux qui ne l'auraient pas lu. Tu me rassures donc cette fois si je facilite la compréhension.
SupprimerElle est candide au départ mais par la suite elle sait mener sa barque je trouve. C'est en tout cas un texte que je suis ravi d'avoir découvert, même s'il n'est pas des plus émoustillant.
RépondreSupprimerJe crois que nous ne serons pas tout à fait d'accord sur ce roman alors (une occasion rêvée de discuter). C'est vrai qu'elle finit par avoir un peu de jugeote et réussit à mieux mener sa barque, mais je trouve qu'elle garde un fond de candeur, une confiance un peu aveugle envers ceux qu'elles rencontrent notamment. Je crois qu'elle manque un peu de cynisme à mon goût.
SupprimerEt là où je ne te rejoins pas non plus, c'est sur le côté émoustillant : ce n'est pas le meilleur que j'aie lu, clairement, mais je trouve ce style d'époque plus émoustillant que certains styles contemporains plus crus (que tu apprécies davantage, d'après ce que j'ai vu sur ton blog de tes lectures érotiques).
Rhoooo tu m'avais parlé de films adaptés de ce roman, j'ai complètement zappé... Mais que voilà une belle édition de ce livre soit dit en passant ;-)
RépondreSupprimerCe n'est pas grave, ce sera pour une autre fois. C'est une belle et intéressante édition ;)
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