L’Univers est une espèce de livre dont on n’a lu que la première page, quand on n’a vu que son pays. J’en ai feuilleté un assez grand nombre que j’ai trouvées presque également mauvaises. Cet examen ne m’a pas été infructueux. Je haïssais ma patrie, toutes les impertinences des peuples divers parmi lesquels j’ai vécu m’ont réconcilié avec elle. Quand je n’aurais tiré d’autre bénéfice de mes voyages que celui-là, je n’en regretterais ni les frais ni les fatigues. [p. 23]
C’EST SUR CES PAROLES peu amènes que débute le « récit
de voyage » de Fougeret de Monbron, l’auteur misanthrope de Margot la ravaudeuse. Ce trait de
caractère lui donne un ton assez caustique et un regard blasé sur les pays qu’il
parcourt : les Provinces-Unies sont évoquées en quelques lignes assassines,
le pape à Rome est raillé avec humour (plutôt pince-sans-rire), le Vésuve jugé
décevant et les ruines antiques n’inspirent guère au voyageur de description
exaltée. Quelques villes, en particulier italiennes, gagnent néanmoins son
admiration, et les Anglais lui apparaissent tels des « homme[s] de Diogène »
[p. 23]. Tour à tour charmé, déçu ou pensif, il séduit son lecteur malgré lui.
« Ni journaliste, ni compositeur de voyage » [p. 47], Fougeret de Monbron s’attarde peu sur les lieux parcourus en eux-mêmes dans son récit. S’il les cite, il les décrit peu, refusant de jouer le jeu des auteurs narrant monts et merveilles ou encore étalant leur érudition face à des ruines à peine aperçues. Il avoue d’ailleurs honnêtement son ignorance à ce sujet et rappelle à plusieurs reprises son projet : ni plan détaillé de ses visites, ni études de mœurs. Que trouve-t-on alors dans son récit ? De nombreuses réflexions sur le genre humain, indépendamment de son lieu de vie, une ou deux aventures galantes, une confidence féminine sous forme de bref récit enchâssé et un zeste d’anticléricalisme.
L’ensemble est donc assez éclectique et présenté presque sans ordre, selon la mode du XVIIIe siècle. Si l’auteur n’avait été aussi d’humeur sombre, j’aurais aisément imaginé une telle lecture dans un salon littéraire, au retour d’un « Grand tour » d’Europe et d’un voyage en Orient. Tous les ingrédients mondains du temps y sont : le passage du coq à l’âne, les réflexions entrecoupant la narration, les attaques contre le clergé, quelques clichés sur les femmes européennes à l’occasion d’un amour de passage, etc. Ne manquent à l’auteur que la fausseté et un peu de légèreté ; son regard très noir sur l’humanité tranche avec l’optimisme des Lumières, et sa franchise l’éloigne des romanciers libertins, pessimistes mieux dissimulés.
Un récit plaisant, mordant et souvent juste dans ses
observations.
Le Cosmopolite ou le citoyen du monde de Louis-Charles Fougeret de Monbron, préfacé par Cécile Guilbert
Payot et Rivages (Paris), coll. Petite bibliothèque Payot, 2014
1re publication : 1750
Volà une bien belle manière de ranimer ce Salon, même si le monsieur n'eût guère plu aux âmes avides de plaisants récits de voyage sans amertume !
RépondreSupprimerIl aurait été dommage de ne pas revenir avec une touche 18e, même amère. Je pense que le ton mordant a dû plaire à l'époque, même s'il manque de nuance et que l'homme ne devait pas être facile à vivre.
SupprimerJe ne connaissais pas ce titre de Fougeret de Monbron mais il est vrai que les récits de voyages étaient à la mode ! Pas sûre que je le lise un jour car c'est un exercice que je n'apprécie pas particulièrement
RépondreSupprimerJe n'apprécie pas forcément l'exercice non plus, mais ce texte-ci n'y répond pas tout à fait. Comme je le disais, c'est un recueil de pensées diverses davantage que la narration détaillée de ses voyages. Ca te plairait peut-être davantage (même s'il ne comptera pas parmi mes indispensables... Plaisant, sans être inoubliable)
SupprimerPeut-être qu'à l'occasion, je me laisserai tenter par cette lecture. Le titre déjà me plait bien. Même si l'auteur s'éloigne des romanciers libertins par son manque de légèreté et par sa franchise, comme vous dites, je crois qu'il ne me déplairait pas. En tout cas, merci pour la découverte.
RépondreSupprimerVotre avis sur cette lecture m'intéresserait. Cet éloignement des libertins n'était pas forcément un reproche, plutôt un constat qu'il ne s'inscrit dans aucun des deux mouvements littéraires majeurs de l'époque ; cela le rend assez intéressant pour cette raison aussi.
SupprimerOui, j'ai bien envie de le lire, je vous en ferai un rapport ;-)
SupprimerC'est vrai que pour des néophytes (dont je suis) c'est un livre à contretemps de l'époque des Lumières, mais j'aime ce que tu dis sur la vision assez sombre du genre humain. En revanche, moi qui ai lu beaucoup de récit de voyage du 17è siècle, je m'aperçois du fossé qui sépare ce Fougeret d'un Tavernier, d'un la Boulay, ou d'un Lestra...ce qui montre finalement qu'une fois les contrées découvertes, on avait tout le loisir d'être déçu de ses congénères.
RépondreSupprimerJe connais peu, voire pas du tout, les récits de voyage du 17e, contrairement à toi. En quoi sont-ils différents ? Je crois que ça tient aussi au caractère de l'auteur : quelqu'un de foncièrement misanthrope et provocateur n'allait pas changer d'attitude d'un pays à l'autre, il y a toujours des défauts à voir, comme des qualités que les plus optimistes verront.
SupprimerPour le contretemps des Lumières, j'avoue que j'aime explorer leur face sombre, notamment chez les libertins. ;)
Il faut que je fasse un tour plus en détail sur ton blog lorsque j'aurai un moment. J'adore le nom de ton blog et le style qui s'en dégage. Je suis sûre que je trouverai des perles (livresques) ! :-)
RépondreSupprimerMerci ! Tu te doutes sûrement que ton blog a attiré mon attention par son nom aussi. :) J'espère que tu trouveras ton bonheur parmi mes articles et à bientôt alors.
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